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La newsletter littéraire par Léonard Desbrières

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Par Léonard Desbrières
25 juil. · 4 mn à lire
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#Play-list - Lectures d'été

Sans ordre ni logique, dix livres pour enflammer ton été littéraire.

Le Barman du Ritz de Philippe Collin

L’homme de radio, voix emblématiques de France Inter, raconte avec la minutie de l’historien et la fougue de l’écrivain, la folle histoire vraie de Frank Meier, barman du Ritz pendant l’occupation. Une légende du cocktail, adorée des plus hauts dignitaires nazis mais surtout un résistant juif qui fut, en secret, un précieux allié des Alliés. Au bruit des glaçons qui s’entrechoquent et des shakers qui s’agitent, Philippe Collin peint une fresque érudite mais romanesque à souhait. Car la bar du Ritz est en fait un modèle réduit de La France occupée. Nazis, collabos, témoins passifs ou résistants qui se dissimulent : chacun joue sa partition et Frank Meier a le plus beau rôle.

Croire aux fauves de Nastassja Martin

Un texte magistral, hypnotique et déchirant qui marque la pensée anthropologique autant qu’il secoue les habitudes littéraires. 25 août 2015. Alors que Nastassja Martin s’apprête à escalader le plus haut volcan de la province russe du Kamtchatka, elle tombe nez à nez avec un ours qui l’attaque sauvagement. Miraculeusement rescapée de la gueule de la bête grâce au piolet qu’elle réservait à son ascension, la peau arrachée, la pommette fracturée, l’anthropologue est traversée par une sorte d’illumination. Comme si au-delà de cet affrontement et de cette mort évitée de peu, l’ours et elle avait partagé un vertige commun, comme si l’espace d’un instant, l’Homme et l’animal n’avait fait qu’un. Ballotée dans les hôpitaux russes puis français pour reconstruire un visage symbole de la bestialité, Nastassja Martin ne cesse pourtant de repenser à cette union presque sacrée. Plus qu’un journal de survie, Croire aux fauves est le long poème en prose enflammé d’un séisme intérieur, un cri du cœur pour repousser les frontières de l’animalité, pour repenser ce qui fonde le rapport au monde, aux hommes, à soi.

L’invitée d’Emma Cline

Après plusieurs années à vivre de ses charmes à New-York, Alex croit enfin vivre le rêve de toute Escort : tomber sur un homme prêt à acheter définitivement sa beauté pour la sauver de sa condition. Simon pourrait être son père mais il est riche, très riche et lui propose de venir passer l’été dans sa demeure des Hamptons. Une occasion en or d’échapper aux dettes et aux ennuis qui la poursuivent depuis trop longtemps. Croyant appartenir à ce nouveau monde, persuadé de jouir d’une nouvelle liberté, il ne lui faudra que quelques semaines pour se rendre compte que rien n’a changé. Elle commet une erreur irréparable et est mise à la porte. Mais plutôt que de s’avouer vaincue et de rentrer, elle décide plutôt d’errer dans ce paradis bourgeois avec une obsession en tête : prendre sa revanche. Emma Cline n’est jamais aussi redoutable que quand elle sonne, pour ses personnages féminins, la fin de l’innocence. Un récit noir, perturbant, doublée d’une satire sociale au lance-flamme

L’Homme aux mille visages de Sonia Kronlund

Hanté par le souvenir d’un témoignage recueilli pour l’émission Les Pieds sur Terre qu’elle anime et produit depuis 20 ans, celui d’une femme, abasourdie, qui venait de découvrir que le séduisant chirurgien brésilien dont elle était tombée enceinte lui avait menti sur toute la ligne et menait plusieurs vies en parallèle, entre plusieurs pays, avec plusieurs femmes et une identité différente à chaque fois, Sonia Kronlund s’est lancée dans l’enquête d’une vie. Pendant cinq ans, de la France à l’Amérique du Sud en passant par la Pologne, elle est partie à la rencontre de toutes celles qui ont succombé au charme d’Alexandre, Daniel ou Ricardo et a creusé le passé de cet «as de la mystification » pour comprendre ses motivations. Avant le moment fatidique, un face-à-face tant attendu, provoqué avec ruse. Un roman du réel obsédant. Et désormais un film puisqu’un documentaire est sorti au printemps en salles.

Oblomov d’Ivan Gontcharov

On s’allonge sur le divan avec ce classique de la littérature russe injustement méconnu en France. Au pays de Tolstoï et Dostoïevski, Oblomov est plus qu’un roman, c’est un mythe littéraire comparable à Don Quichotte ou Don Juan, c’est surtout un qualificatif rentré dans la langue courante pour signifier un adepte de la léthargie, un rêveur inactif, en marge de la société, en opposition totale avec l’idée de travail. Le héros de Gontcharov est un rentier qui passe sa vie dans sa robe de chambre, affalé, à s’adonner à de longues rêveries utopiques loin du tumulte du monde. Tout le monde autour de lui profite de son apathie pour le spolier. Seule Olga, sa fiancée, essaye de le sauver. Oblomov va tout perdre mais tirera sa révérence en grand prince de la fatalité, heureux d’enfin pouvoir totalement s’abandonner.

Davide Longo, L’Affaire Bramard et Les Jeunes Fauves

Deux romans publiés en un an et l’éclosion d’un incroyable talent. Il y a d’abord eu L’Affaire Bramard, entrée en matière explosive, racontant la quête effrénée, à la lisière de la justice et de la vengeance, d’un jeune commissaire lancé sur les traces d’un redoutable tueur en série qui entaille le dos de ses victimes avec d’étranges dessins. Un affrontement digne des plus grands thrillers entre un génie du mal surnommé Automnal et un prodige de la police endeuillé à jamais. Puis son oeuvre a pris une tournure plus politique avec Les Jeunes fauves. Des ossements, une douzaine de crânes exactement, ont été retrouvés au fond d’un chantier ferroviaire de la banlieue de Turin. Mais avant même d’avoir pu débuter l’enquête, il a été relevé de l’affaire, transmise à une équipe spéciale responsable des crimes liés à la Seconde Guerre Mondiale. Pourtant, il a retrouvé sur les lieux un bouton de jean, preuve irréfutable que la chronologie ne colle pas. Quelqu’un essaye d’étouffer les véritables raisons de ce charnier 

Hot Milk de Deborah Levy

Avec la publication coup sur coup, en 2020, de Ce que je ne voulais pas savoir et Le Coût de la vie, les deux premiers tomes de ce qu’elle appelle son « autobiographie en mouvement », l’écrivaine londonienne Deborah Levy est devenue l’obsession des lecteurs français, amoureux de sa manière de mettre en littérature sa propre vie. Fort de ce succès éblouissant, le Sous-Sol entreprend enfin de traduire l’autre pan de son œuvre, ses romans, et débute l’aventure avec Hot Milk, écrit en 2016. Épuisé par sa mère, atteinte d’un mal mystérieux et qui s’est peu à peu transformée en fardeau, Sofia quitte Londres et l’emmène sur la côte Andalouse, dans la clinique du controversé docteur Gomez pour un traitement de la dernière chance. Là-bas, elle croise la route d’Ingrid, une jeune allemande sauvage et férocement libre qui va l’emmener sur les chemins du désir et de l’émancipation. Un songe d’une nuit d’été, sensuel et enivrant.

L’Usure d’un monde de François-Henri Désérable

Au lendemain de la mort tragique de Mahsa Amini, en septembre 2022, alors que le vent de la révolte souffle sur l’Iran, François-Henri Désérable marche sur les traces de son idole, le saint-patron des écrivains voyageurs Nicolas Bouvier. L’Usure d’un monde raconte quarante jours d’un périple à travers un pays aux richesses millénaires, pour comprendre la terreur que fait régner la République Islamique, pour raconter le glorieux combat d’un peuple pour la liberté.

Carolyn et John de Stéphanie Des Horts

En plus de quinze ans et presque autant de livres, Stéphanie Des Horts est devenue la reine incontestée de la biographie romancée. Son œuvre est un savoureux trombinoscope littéraire des grands et surtout des grandes de ce monde, des héroïnes sulfureuses et scandaleuses qui ont su se frayer une place parmi les hommes. Après l’intrigante Doris Delevingne ou la séductrice Sara Murphy, après les Sœurs Livanos et Bouvier ou l’espionne Betty Pack, elle s’attaque cette fois à la socialite américaine Carolyn Bessette et au couple mythique qu’elle formait avec John John, fils de John Fitzgerald Kennedy. Au cœur de ces années 90 fulgurantes, qui font rimer glamour et excès, leur beauté insolente, leur vie de rêve fascinent mais en coulisse c’est la descente aux enfers sous fond de drogue et d’adultère. Avant le crash qui choquera l’Amérique tout entière et coûtera la vie à ces amants maudits.

Les Eclats de Bret Easton Ellis

Dans la carrière d’une rock star, il se doit d’y avoir un come-back flamboyant, un retour sur le devant de la scène inespéré et donc terriblement excitant. Après la déception Suite(s) Impériale(s) en 2010, prolongation fade de son premier roman culte Moins que Zéro, Bret Easton Ellis avait juré en avoir fini avec le roman. Il voulait se consacrer à son podcast, écrire des brûlots drôles et corrosifs contre l’époque (White, 2019), profiter de ses vieux jours grâce à la petite fortune amassée avec ses best-sellers cultes American Psycho et Glamorama. Mais peu importe où vous vous cachez, quand vous avez l’âme d’un romancier, la littérature finit toujours par vous retrouver. Les Éclats est un bijou vintage qui nous replonge dans l’adolescence de son auteur et dans la jeunesse dorée du Los Angeles des années 80. Récit d’apprentissage nostalgique, coming-out sexy et sexuel, polar paranoïaque haletant qui jongle entre vie vécue et vie imaginée : Le Prince des ténèbres use de toute sa magie noire pour nous ensorceler à nouveau.