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La newsletter littéraire par Léonard Desbrières

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Par Léonard Desbrières
6 févr. · 3 mn à lire
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#4 - PLAY-list

Qui a dit que le genre et l'imaginaire étaient la chasse gardée des hommes ? Sans ordre ni logique, 10 œuvres de femmes, étranges, dérangeantes et provocantes.

La pionnière : Mary Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne (1818)

Le classique qu’on ne présente plus. La première incursion féminine dans les littératures de genre. Un chef d’oeuvre du roman fantastique qui irradie aujourd’hui encore toute la pop culture. En témoigne le dernier film de Yórgos Lánthimos, Pauvres Créatures.

Dans les entrailles du Mal : Daddy Love de Joyce Carol Oates (2016)

Avec Joyce Carol Oates, la Reine des lettres américaines, il ne faut surtout pas se fier pas aux apparences. Grande, fluette, douce, elle pourrait paraître fragile mais son oeuvre est un concentré de terreur, une littérature sombre, poisseuse, souvent sanglante, qui en plus de plonger loin dans les entrailles du mal, s’attaque sans vergogne à la mascarade du rêve américain. Parmi ses romans noirs, très noirs, Daddy Love est sans doute le plus dérangeant. Elle raconte le calvaire d’un enfant enlevé par un prédateur sexuel, un prédicateur qui parcourt l’Amérique pour haranguer les foules autant que pour trouver ses prochaines victimes. Un des personnages les plus abjectes de la littérature contemporaine.

Le chef-d’oeuvre méconnu : La Main Gauche de la nuit d’Ursula K. Le Guin (1969)

Elle est la première à avoir fusionné littérature de genre et question de genre. Un ambassadeur venu de la Terre tente de rallier les habitants de la planète glacée Gethen à sa cause. Mais l’homme passe pour un monstre dans un monde où il n’y a plus de féminin ou de masculin, seulement des êtres humains, des hermaphrodites qui selon les circonstances, adoptent les caractères de l’un ou l’autre sexe. Au coeur des années 60, la romancière américaine signe un livre d’avant-garde troublant.

La chanson wtf : Oral de Björk et Rosalia (2023)

Le feat dont on rêvait et un clip complètement barré à l’image de l’univers lunaire des deux plus grandes freaks de la pop mondiale.

Vice caché : Soupapes & Cie d’Helen Dewitt (2024)

Joe, vendeur de porte à porte fauché est persuadé de tenir le coup du siècle pour se refaire : il veut offrir aux entreprises un service de sexualité confidentielle pour purger les salariés masculins de leurs pulsions et ainsi empêcher toute affaire de harcèlement sexuel. Contre toute attente, l’idée connaît un succès retentissant. Au point d’alerter les autorités. Une satire corrosive qui tire sur tout ce qui bouge : les déviances sexuelles des hommes, les illusions du puritanisme et les obsessions consuméristes de nos sociétés capitalistes.

La Reine du malaise : Katharina Volckmer, Jewish Cock, Wonderfuck (2022, 2024)

L’écrivain le plus trash et le plus tordu du moment est une femme. Après Jewish Cock, monologue du vagin sous amphet’ dans lequel une jeune allemande expliquait à son gynécologue son envie de se faire greffer un pénis circoncis pour faire un doigt d’honneur au passé nazi de son pays et changer ce corps de femme qu’elle ne supporte plus, Katharina Volckmer revient avec un nouveau bijou de malaise. Jimmie, son nouveau weirdo, est employé dans un call-center londonien. Mais plutôt que de venir en aide aux voyageurs qui le contactent, il s’amuse à les cuisiner. Sous le regard médusé de ses collègues, il malmène ses interlocuteurs, creuse leurs petits secrets, se mêle de leurs désirs interdits. Portrait d’un accoucheur des âmes démoniaque qui jouit en faisant jaillir les perversions de notre époque.

L’Icône afrofuturiste : Octavia Butler, La Parabole des semeurs (1993)

Révélée aux yeux du monde avec Kindred, le récit d’une jeune fille qui voyage dans le temps pour rencontrer ses ancêtres esclaves, Octavia Butler (1947-2006) fut une des stars de la Science-Fiction mondiale et la figure de proue de l’Afrofuturisme, un mouvement artistique et littéraire qui utilise la science-fiction non pas pour imaginer le futur sous le prisme des sociétés occidentales blanches mais du point de vue de la communauté noire. Dans La Parabole du semeur, elle nous plonge en 2024, dans une Amérique au bord du gouffre, ravagée par la pauvreté et la guerre civile et retrace le destin d’une fille de pasteur afro-américain qui entame la rédaction d’un nouvelle Bible dans l’espoir d’offrir un second souffle à l’humanité.

L’oeuvre mutante : Titane de Julia Ducourneau (2021)

La Palme d’Or 2021. Après Grave, fable cannibale où le sang est un objet de transgression et de désir, Julia Ducourneau continue son entreprise de destruction massive des codes du cinéma de papa à la française. Résultat, une oeuvre mutante inspirée du Crash de Cronenberg. Un film de genre gore et un body horror qui explore la question même de monstruosité. Et Vincent Lindon en terrifiant nounours bodybuildé.

Comic strip : Fungirl d’Elizabeth Pitch (2021)

Entre masturbation intempestive, blagues de mauvais goûts et soirées trop arrosées, les tribulations tragicomique d’une employée funéraire complètement à côté de la plaque mais furieusement libre. Quand Virginie Despentes rencontre Gaston Lagaffe. Un mélange improbable et jubilatoire.

La vengeance est un plat qui se mange saignant : Revenge de Coralie Fargeat (2017)

D’habitude ce sont les réalisateurs qui projettent leurs fantasmes masculins sur le genre du “Rape and revenge”, ces films où une femme choisit la violence pour se venger d’un viol qu’elle a subi. Ici Coralie Fargeat se le réapproprie avec brio et au nom des femmes. A noter dans la même veine le très réussi Promising Young Woman, premier film d’Emerald Fenell (Oscar du meilleur scénario original), réalisatrice de Saltburn.

Fantasy militaire : Chien du Heaume de Justine Niogret (2010)

Moi je ne sais que la voix du fer, de la tempête et des cris des hommes

On l’appelle Chien du Heaume parce qu’elle n’a plus ni nom ni passé, juste une hache ornée de serpents à qui elle a confié sa vie. Dans l’univers âpre et sans merci du haut Moyen Âge, loin de l’image idéalisée que l’on se fait de ces temps cruels, une femme se bat pour retrouver ce qu’elle a de plus cher, son passé et son identité. Un bijou de fantasy au féminin.

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