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La newsletter littéraire par Léonard Desbrières

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Par Léonard Desbrières
20 oct. · 3 mn à lire
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#2 - PLAY-list

Sans ordre ni logique, 10 oeuvres qui racontent la vie des cités, loin des clichés du JT

© Mohamed Bourouissa 2021 courtesy Loose Joints© Mohamed Bourouissa 2021 courtesy Loose Joints

1 - Une pionnière : Kiffe kiffe demain, Faïza Guène

En 2004, une ado de 19 ans, étudiante en sociologie, vient bousculer la rentrée littéraire avec un récit d’apprentissage bouleversant qui raconte à hauteur d’enfant, avec un verbe tchatcheur et un humour décapant, le quotidien des quartiers. Premier roman de la banlieue française, Kiffe Kiffe demain devient un phénomène en librairie. Surnommée la Sagan des banlieues, Faïza Guène acquiert une renommée internationale et véhicule un message radical : la littérature doit s’inviter dans les quartiers pour les raconter et pour les célébrer.

2 - Un hymne : Pour ceux, Mafia K’1 fry

En 2003, pour annoncer la sortie de son premier album, le collectif Mafia K'1 Fry sort la chanson Pour ceux et confie la réalisation du clip à Kourtrajmé, un collectif inconnu composé de jeunes cinéastes comme Kim Chapiron, Romain Gavras ou encore Ladj Ly. Résultat, un titre mythique au flow dévastateur et un film de fou furieux qui influence encore aujourd’hui la manière de filmer les quartiers. L’hymne du rap français et un hommage grandiose à la banlieue et à ses habitants.

3 - Un roman au lance-flamme : Deux secondes d’air qui brûle, Diaty Diallo

Enfant de Seine-Saint-Denis, la romancière retrace le quotidien d’Astor, Chérif, Issa, Demba et Nil entre barbecues sauvages, discussions endiablées, rires à gorges déployées et jeux du chat et de la souris avec la Police. Elle raconte surtout le moment de bascule tragique, l’assassinat coupable de Samy par les forces de l’ordre qui va mettre le feu aux poudres et enflammer la cité jusqu’à l’explosion. Une oeuvre fataliste et radicale, portée par une poésie brute. Comme Romain Gavras dans Athena, Diaty Diallo empreinte à la tragédie grecque. Sans concession, elle pose la même question : La Guerre des banlieues aura-t-elle lieu ?

4 - Une série photo iconique : Périphérique, Mohamed Bourouissa

© Mohamed Bourouissa 2021 courtesy Loose Joints© Mohamed Bourouissa 2021 courtesy Loose Joints

Le photographe et artiste plasticien français d’origine algérienne est devenu avec son œuvre, qui brouille les frontières entre fiction et documentaire, une des figures mondiales de l’art contemporain. Dans la série de clichés « Périphérique », devenu un livre, il redessine l’imagerie de la banlieue française et met en scène la vie des jeunes des quartiers en s’inspirant des maîtres qu’il admire comme Le Caravage ou Delacroix. Poétique et inspirant.

5- Une langue nouvelle : Fief et Vivance, David Lopez

Passé par le Master de création littéraire de Paris VIII, le laboratoire des écrivains de demain, David Lopez mélange phrasé du rap et influences littéraires pour forger une écriture nouvelle. Dans Fief puis Vivance, il invente des personnages qui errent, s’ennuient mais s’inventent, grâce à la force de l’imaginaire, des quêtes chevaleresques. David Lopez a fait de ces quartiers qu’on croirait coupées du monde, le berceau d’une force nouvelle où la langue se réinvente, où la rage pousse à la création et à la vie. Le plus grand styliste de la nouvelle génération du roman français. Et le meilleur rappeur aussi.

6 - Une série hilarante : Narvalo, Matthieu Longatte

Repéré sur Youtube avec ses vidéos Bonjour Tristesse, des pastilles face caméra qui tirait à balles réelles sur la classe politique et les dérives de notre société, Matthieu Longatte est passé de l’autre côté de la caméra pour réaliser la série Narvalo sur Canal +. Des épisodes courts, des jeunes comédiens talentueux et un humour dévastateur qui dessinent un portrait drôle et touchant de de la jeunesse des quartiers.

Mention spéciale à l’épisode 1 de la saison 2.

7 - Un monologue qui bouscule : 77, Marin Fouqué

Avant de se lancer dans l’écriture, Marin Fouqué s’est fait une solide réputation de slameur. Dans des spectacles saisissants, il réalise des performances mêlant prose, chant et musique. 77, son premier roman, sonne d’ailleurs comme une incantation, un flux de conscience impressionnant de spontanéité et de vitalité. L’histoire, c’est celle d’un adolescent un peu paumé qui, un matin, décide de ne pas monter dans le bus scolaire. Il va rester toute une journée, seul, capuche sur la tête, assis sous l’abribus à regarder défiler les voitures, à gamberger sur sa vie et à se moquer de son 77 natal. En plus d’interroger les obsessions de notre époque – la jeunesse, l’identité, la reproduction sociale - le roman de Marin Fouqué marque les esprits par la langue qu’il déploie, des phrases cinglantes qui s’enchaînent sans respiration et vous prennent à la gorge. Un livre envoûtant.

8 - Un classique méconnu : Ma 6t va craquer, Jean-François Richet

Deux ans après la déflagration La Haine, Jean-François Richet, un jeune cinéaste, qui se fera connaître quelques années plus tard pour son biopic consacré à Jacques Mesrine, réalise Ma 6t va craquer, un nouveau conte urbain filmé en caméra embarquée au plus près de la jeunesse des banlieues françaises. Petit frère méconnu, parfois mal-aimé, le film est plus radical mais il est bourré de poésie et de scènes cultes qui marquent les esprits. Et sa bande originale, qui rassemble Assassin, IAM, X-Men ou encore Stomy Bugsy est devenue un album emblématique du rap français.

9 - Un roman noir, très noir : Il est des hommes qui se perdront toujours, Rebecca Lighieri

Quand elle s’invite du côté du polar et du roman noir, la romancière Emmanuel Bayamack-Tam devient Rebecca Lighieri, un double maléfique à l’écriture sombre et poisseuse qui plonge dans les entrailles du mal. Après Les Garçons de l’été, descente aux enfers mortelle de deux surfeurs surdoués, Il est des hommes qui se perdront toujours raconte la désintégration d’une famille des quartiers Nord de Marseille suite à l’assassinat du père, toxicomane violent et cruel. Une chronique sociale âpre qui ne nous épargne rien et dit tout de la dureté, la folie, parfois même la barbarie d’un monde sans foi ni loi.

10 - Une fable poétique : Gagarine, Jérémy Trouilh et Fanny Liatard 

Jérémy Trouilh et Fanny Liatard ne sont pas nés en banlieue mais connaissent la vie de quartier sur le bout des doigts. Pendant cinq ans, ils ont arpenté les cités d’Ivry-sur-Seine et d’Aubervilliers pour brosser le portrait de ses habitants. Comme un prolongement de leur travail documentaire, ce premier long-métrage est un hommage poétique à ceux qui se battent pour que vivent les banlieues françaises. Loin de la chronique sociale, le film est un conte onirique, un récit initiatique autour de l’adolescence et ses idéaux, un hommage touchant à la cité Gagarine, une cité en briques rouges emblématique, démolie en 2020 et à laquelle PNL a rendu hommage dans le clip Deux frères.