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La newsletter littéraire par Léonard Desbrières

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Par Léonard Desbrières
26 avr. · 2 mn à lire
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#5 - Play-list

Sans ordre ni logique, 10 œuvres qui subliment le monologue et le flux de conscience, comme un écho au livre du mois, Créatine de Victor Malzac.

Ulysse de James Joyce (1922)

Inspiré par les écrits de l’auteur symboliste Edouard Dujardin, le romancier irlandais est le premier à s’affranchir des normes littéraires en inventant ce qu’on appelle aujourd’hui le flux de conscience, un procédé littéraire qui consiste à décrire le point de vue des personnages en donnant le strict équivalent de leur processus de pensée. Ulysse relate les pérégrinations de Leopold Bloom et Stephen Dedalus à travers la ville de Dublin lors d'une journée ordinaire. La banalité du quotidien est balayée par une succession de monologues intérieurs où les sujets vont de la mort à la vie, en passant par le sexe, l'art, la religion ou encore la situation de l'Irlande. Un passionnant objet littéraire, souvent cité comme l’un des plus grands livres du XXème siècle, mais un roman difficile qui en a traumatisé plus d’un.

Apocalypse now de Francis Ford Coppola ( 1979)

Tout simplement le plus grand monologue de l’histoire du cinéma. Un Marlon Brando en transe, terrifiant, entre ombre et lumière qui divague face à un Martin Sheen médusé. Et ce texte en grande partie improvisé, imposé à Coppola : “I've seen horrors... horrors that you've seen” qui nous fait drôlement penser à un autre monologue culte, celui de Blade Runner réalisé par Ridlet Scott en 1982.

William Faulkner, Le Bruit et la fureur (1929)

Ruiné, ravagé par l’alcoolisme, William Faulkner écrit entre deux pelletées de charbon alors qu’il travaille dans une centrale électrique. Une existence insensée qui confère une rage sans pareille à ce quatrième roman, celui qui le fera connaître. Il utilise lui aussi le procédé du flux de conscience pour raconter, au début du XXème siècle, dans une région imaginaire du Sud des Etats-Unis qui porte encore les stigmates de l’esclavage, la lente dégénérescence d’un clan. Benjy, l’idiot barbare, porte-voix de la démence humaine, Jason, le monstre de fourberie et de sadisme et Quentin, l’idéaliste romantique : trois frères, trois monologues intérieures qui incarnent trois symboles de la défaite morale et démystifie le rêve américain.

Gill Scott-Heron, The Revolution will not be televised (1970)

Le père spirituel de Kendrick Lamar. Légende de la musique noire américaine, Gill Scott-Heron est le pionnier du spoken word. Dans des chansons scandées comme des poèmes ou des prières, aux mélodies jazz, soul et funk, le pillier du mouvement des Civil Rights décrit les émeutes raciales et la violence policière avec des textes d’une actualité terrifiante.

Joan Didion, L’année de la pensée magique (2007)

L’écriture peut-elle aider à surmonter la perte d’un être cher ? La journaliste et romancière Joan Didion répond avec L’Année de la pensée magique, chef-d’oeuvre de non-fiction écrit au lendemain de la perte soudaine de son mari, l’écrivain John Gregory Dunne. Dans un flot de paroles cliniques, brutales, elle exprime la folie du deuil et dissèque l’indicible. Elle raconte surtout la rédemption et la renaissance grâce à la littérature.

Spike Lee, La 25ème heure (2002)

Qui ne s’est jamais parlé dans le miroir des toilettes d’un bar au cours d’une soirée bien arrosée ? Dans le film de Spike Lee, l’expérience se transforme en monologue culte et rageur, celui d’un trafiquant de drogue qui vit sa dernière nuit de liberté avant de purger une peine de prison de sept ans. Un portrait au vitriol de New-York et de ses habitants. Et là encore un mimétisme troublant avec un autre monologue, celui qui vient conclure D’Argent et de sang, la série très réussie de Xavier Giannoli

Marin Fouqué, 77 (2019)

Un matin, un adolescent décide de ne pas monter dans le bus scolaire et laisse son esprit divaguer dans la campagne. Commence alors un long monologue scandé depuis le banc d’un abribus pour raconter la rage, la violence et la solitude face à cet âge de tous les possibles, dans un territoire en marge, entre ville et campagne. Une expérience de lecture rare imaginée par une des jeunes plumes les plus prometteuses du roman français.

Virginia Woolf, Mrs Dalloway (1925)

Le roman phare de Virginia Woolf raconte la journée d'une femme élégante de Londres, en mêlant les impressions et les souvenirs, en faisant surgir les fantômes du passé, comme un ancien amour ou des membres de sa famille. Un monologue intérieur éblouissant où c’est la pensée elle-même qui devient une formidable aventure.

Fédor Dostoïevski, Les Carnets du Sous-Sol (1864)

Réfugié dans son sous-sol, un homme possédé parle sans discontinuer pour cracher sa haine envers une une humanité qu’il exècre. Il s'est créé un monde intérieur où le beau, le sublime perdure mais il ne cesse de se fracasser contre la réalité. Monologue forcé d’un héros abjecte qui s’adresse à des interlocuteurs imaginaires qui ne répondront jamais, ce texte central dans l’oeuvre du génie russe est une réflexion philosophique féroce sur la conception du mal, celui qui nous entoure et celui qui nous habite. Inoubliable.

Lucy Elmann, Les Lionnes ( 2019)

Alors qu’une mère au foyer américaine prépare le diner, elle est soudain assaillie par un flot de pensées intarissable. Débute alors un monologue intérieur émouvant, drôle et corrosif où les considérations fatalistes sur l’humanité viennent se mêler aux réflexions et aux souvenirs intimes. Elle s’indigne contre Trump, se désole du dérèglement climatique, elle s’insurge contre la domination patriarcale ou l’extermination des Amérindiens tout en pensant à la montagne de tâches ménagères qui l’attendent : pendant près de 1000 pages, les idées fusent et les phrases s’enchaînent, portées par une écriture à la simplicité désarmante qui donne à ce texte unique des airs de transe psalmodiée et de requiem contre un monde qui ne tourne pas rond.

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