INCIPIT

La newsletter littéraire par Léonard Desbrières

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Par Léonard Desbrières
5 avr. · 1 mn à lire
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Victor Malzac, gonflé à bloc

Avec Créatine, son premier roman, l'écrivain et poète Victor Malzac fait l'expérience de la virilité en roue libre, entre obsession de la gonflette et masculinité à la Schwarzy.

 ©Martin Parr ©Martin Parr

Normalien, doctorant et poète. Gameur, fan de rap et de skate. Il fallait absolument se pencher sur ce drôle d’oiseau qui avec le sourire, pulvérise, les étiquettes. À 26 ans, Victor Malzac mène déjà une double vie, entre deux âges, flirtant continuellement entre le monde sérieux des adultes où il est l’agrégé spécialiste de l’écrivain belge Eugène Savitzkaya et l’île aux enfants où il est cet éternel adolescent, hyperactif et fanfaron, toujours en quête de la bonne histoire. Après trois recueils de poésie remarqués, paru au début de la vingtaine aux éditions Cheyne, le facétieux prodige se pique aujourd’hui de fiction comme s’il avait trouvé dans la figure du romancier le job rêvé pour réconcilier ses deux personnalités.

Créatine est un curieux objet littéraire, un monologue porté par une langue étrange, orale à souhait, maladroite, avec un petit côté tête à claque mais terriblement puissante parce que persuadé d’incarner une vérité. Cette voix stridente se confesse et nous raconte l’obsession d’une vie. On ne connaîtra jamais le nom de celui qui parle. On sait juste qu’on a affaire à un adolescent paumé, mal à l’aise avec les gens, avec les filles surtout. Un homme sans qualité qui n’a rien pour se démarquer, un écorché vif qui se cherche et qui cherche surtout un modèle auquel se référer.

Comme pour beaucoup, la révélation a lieu devant la télé. Alors qu’il visionne un classique du cinéma, Conan le Barbare de John Milius, le narrateur entrevoit, en la personne de la montagne de muscle incarnée par Arnold Schwarzenegger, un idéal et un but à atteindre. Être un gros balèze pour conquérir le cœur des femmes et sauver le monde. C’est le point de départ d’une quête viriliste et d’un culte du corps qui va régir chaque minute de son existence. Sous la coupe de Pedro, son coach et gourou, sorte de Tyler Durden sous prot’ qui passe son temps à s’huiler le corps et se piquer les fesses pour gonfler ses pecs, le narrateur s’enfonce dans une terrible mécanique de pensée, veut tout plus gros, plus vite.

L’expérience vire à la farce tant il se ment à lui-même. Son esprit malade divague et fantasme, persuadé qu’il a gagné trente centimètres et que son sexe a triplé de volume. Pourtant, jamais le récit ne devient clownesque, il est beaucoup trop sombre. Dans son pacte avec le diable pour devenir un surhomme, dans cette valse de fonte et de stéroïde, la contrepartie à payer est l’impuissance sexuelle, le pire des outrages pour une masculinité qui se définit par la performance. Plus notre antihéros s’enfonce dans son tunnel mascu bas du front, plus nos sentiments à son égard changent. Le sourire en coin, moqueur, le même que celui de ses camarades, laisse place au malaise puis à la peine. Car le lecteur devient le témoin impuissant d’une autodestruction programmée, d’une descente aux enfers bodybuildée, celle d’un jeune homme aux abois qui s’il n’arrête pas de gonfler finira un jour par exploser.

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