Que lisent les écrivains en été ?

Pour clore la saison, une dernière newsletter placée, une fois encore, sous le signe des recommandations. Mais cette fois, ce sont les révélations de la prochaine rentrée littéraire qui vous soufflent leur idée de lecture pour l'été.

INCIPIT
5 min ⋅ 17/07/2025

©Slim Aarons©Slim Aarons

La Recommandation de Mathilda di Matteo : L’Art de la joie de Goliarda Sapienza

Mathilda di Matteo publie à la rentrée son premier roman, La Bonne mère, un western domestique marseillais tirant à vue sur tout ce qui obsède nos sociétés contemporaines : les transfuges de classes, l’héritage et la transmission, l’amour maternel, la violence des hommes.

“Pour sentir et ressentir la Sicile — car rien n’est plus estival que la vie douce et furieuse du Sud de l’Italie.

Pour l’irrépressible liberté de Modesta, le coeur battant de Goliarda entre les pages, et ses idées révolutionnaires autant que son style.

Parce que c’est un classique qui a bien failli ne pas paraître, pourtant il vous marque pour une vie entière.

P.S. : Le poids du livre est une invitation à la sédentarité. Mais vous n’aurez pas besoin de bouger pour voyager.”

La Recommandation d’Anthony Passeron : Deux ou trois choses dont je suis sûre de Dorothy Allison

Récompensé en 2022 du Prix Wepler pour son premier roman, Les Enfants endormis, Anthony Passeron signe son grand retour avec Jacky, un récit d’apprentissage “en trois consoles” qui mêle son histoire familiale et l’histoire des jeux vidéo, la grande obsession de son enfance.

“Ce texte autobiographique m'a bouleversé par la description à la fois réaliste et très crue que dresse Dorothy Allison des femmes de sa famille, des prolétaires pauvres du sud des États-Unis. Avec un style très percutant, elle rend hommage aux combats des premières femmes de sa vie contre une multitude de violences : économiques, sociales, patriarcales... Allison est décédée il y a moins d'un an mais elle nous laisse une œuvre utile, précieuse, à emporter avec soi pour apprendre à nous défendre.”

La recommandation de Léa Simone Allegria : Mon année de repos et de détente d’Ottessa Moshfegh

Elle publie à la rentrée son deuxième roman, Douce Menace, une captivante enquête romanesque qui convoque l’histoire de l’art pour raconter le mystère de la création et de la falsification. 

“L’histoire d’une femme qui décide de dormir pendant un an, à coups de somnifères, dans son penthouse de l’Upper East Side. Elle est jeune, belle, diplômée de Columbia, elle travaille dans une galerie d’art contemporain, elle porte des Manolo. Et pourtant, son ambition macabre ne déviera pas. De page en page, on assiste à l’augmentation méthodique des doses et de leurs effets. Lit-on un suicide à petit feu, ou la promesse d’une résurrection ? C’est un livre à l’humour acide, au bord du gouffre, un livre qui exige qu’on lui fasse confiance, qu’on se laisse glisser entre le sommeil et la mort, idéalement l’été sur un transat. Puis contre toute attente, après l’avoir traversé le feu, le titre finit par remplir sa mission”

La recommandation de lecture de Joffrine Donnadieu : La Nuit ravagée de Jean-Baptiste Del Amo

Récompensée du Prix de Flore en 2022 pour Chienne et Louve, Joffrine Donnadieu publie à la rentrée un troisième roman à la poésie brute et charnelle qui fait entrer en collision violence sociale, trauma intime et exultation des corps.

“Cet été, plongez dans La Nuit ravagée de Jean-Baptiste Del Amo. Vous frissonnerez et vibrerez avec une bande d’adolescents des années 90, confrontés à des tourments, des désirs et des angoisses qu’une maison abandonnée leur révélera. Un à un, ils vont ouvrir les portes de tous les fantasmes et aussi, de tous les cauchemars. Un roman d’horreur, mais beaucoup plus que cela.”

La recommandation de Marie Semelin : De la mort sans exagérer de Wislawa Szimborska

Journaliste au Moyen-Orient pour Radio France et le quotidien belge Le Soir, Marie Semelin publie à la rentrée son premier roman, Les Certitudes, portrait croisé de deux femmes, deux générations, un roman bouleversant d’humanité qui de 1955 à aujourd’hui, entre Jérusalem et Ramallah, ébranle nos perceptions des blessures profonde d’une région.

“La poésie de Szimborska va si bien avec l'été. On sautille, on picore, dans ses mots si simples, et dans les yeux plissés par le soleil, ils ont le temps de tremper goulûment. Et ils se révèlent pointus, d'une ironie délicate, très grands ouverts sur le monde ; interrogeants le tragique et le beau et l'absurde.”

La recommandation de Pierre Boisson : Bartleby et compagnie d’Enrique Vila-Matas

Plume aiguisée du magazine Society, c’est à lui qu’on doit le reportage consacré à Xavier Dupont de Ligonnès qui a déchaîné les passions. Pierre Boisson publie à la rentrée son premier roman, Flamme, volcan, tempête, enquête sur les traces d’une étoile filante littéraire, Christine Pawlowska, sorte de double maléfique de Françoise Sagan.

“Un livre court, étincelant, consacré à ce trouble ou cette maladie qui condamne certains écrivains et écrivaines à ne jamais écrire, ou à écrire un ou deux livres puis à renoncer à l’écriture. Vila-Matas dresse sous forme de 86 notes de bas de page des sortes de mini-biographies, drôles ou tragiques, parfois fictives. Chacune d’entre elles pourrait être une nouvelle de Bolaño. C’est un livre fulgurant, qui donne envie d’en lire des milliers d’autres et, ironiquement, d’écrire: tout ce que je recherche dans un livre d’été.”

La Recommandation de Pauline Gonthier : Bleu d’Août de Deborah Levy

Pauline Gonthier fait paraître à la rentrée Parthenia, un deuxième roman qui, entre chambres d’ados solitaires, hautes sphères politiques et monde virtuels décadents, passe notre époque à la paille de fer.

“Une pianiste virtuose quitte la scène en plein milieu de son récital et se lance à la poursuite d’un double évanescent à travers les rues d’Athènes, Poros, Londres, et Paris. En fil rouge un sujet à la fois banal et lourd - la quête d’identité - mais traité de manière sensuelle et fantasmatique. Il n’y a qu’à se laisser porter, un verre à la main”

La recommandation de Ramsès Kefi : François Ruffin, la revanche des bouseux de Rachid Lareïche

Ramsès Kefi publie à la rentrée Quatre jours sans ma mère, un premier roman poignant sur la fugue d'une mère, qui va métamorphoser sa famille.

“Rachid Laïreche a balancé tous les codes du journalisme politique en l’air, façon pluie de confettis, pour produire ce livre : il dépeint l’une des figures de la gauche à la manière d’un personnage de roman. Les coulisses (charabiesques) de la politique sont mises de côté : l’auteur nous les épargne. Il mise tout sur le voyage dans la tête d’un homme solitaire et théâtral qui rêve de gloire et de pouvoir. Qui ado, avait déjà réglé quelques questions existentielles et statué sur ses desseins. Chaque chapitre est une histoire, chaque personnage secondaire est travaillé comme s’il pouvait devenir un héros.”

La recommandation de Robin Watine : Ici commence la nuit d'Alain Guiraudie

Robin Watine publie à la rentrée son premier roman, Je Rouille, un roman d’atmosphère, hypnotique, écrasant pour capturer le chaos des amours d’été adolescents.

“Je croyais avoir goûté toute la drôlerie obscène d’Alain Guiraudie en voyant ses films, puis j’ai découvert ce livre, qui en est la racine, et témoigne des mécanismes psychiques par lesquels sont agis ces personnages obsessionnels et entièrement soumis à leurs fantasmes. Entré par la porte de la comédie graveleuse, Ici commence la nuit s’engouffre sans retenue, et au-delà de toute logique morale, dans les profondeurs de l’âme humaine. Exprimée avec une banalité déroutante, l’abjection se fait objet de désir, puis d’amour, et repousse toutes nos attentes, dans des zones sordides où une certaine douceur parvient pourtant à nous surprendre.”

La Recommandation de Paul Kawczak : Pulsion de Frédéric Lordon et Sandra Lucbert

Après la révélation Ténèbre, Paul Kawczak continue à creuser son sillon, il nappe ses reconstitutions historiques d’une fine couche de fantastique pour mieux saisir les traumas du XXème siècle et dénoncer la barbarie des Hommes. Le Bonheur raconte en 1942 la traque dans les ruines du Château de Montfaucon, près de Besançon, de trois enfants juifs aux pouvoirs étranges par un officier nazi sans visage.

I”l ne me semble plus possible devant l'accélération autoritaire et suicidaire (écocidaire) du paradigme néolibéral de faire l'économie, dans la mesure de ses moyens évidemment (temps, argent, santé...), d'un effort intellectuel de compréhension. La première action devient celle de comprendre. Ce à quoi invite le spinozisme, à l'aide duquel Lordon et Lucbert rénovent la pensée psychanalytique et tentent d'éclairer ce qui, profondément, meut un être humain. On y suit la mise en place d'un substrat fondamental, au cours des premières années de vie, sur lequel viendront se développer le reste des engagements politico-affectifs d'un "mode humain". Lacan, Deleuze, Guattari, Wittig, Spinoza y sont expliqués de manière limpide et magistrale. Passionnant.”

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Par Léonard Desbrières

Journaliste littéraire et critique depuis presque dix ans au sein de la rédaction du Parisien, de LiRE Magazine Littéraire, de Konbini ou encore GQ, passé par La Grande Librairie, je m'intéresse de près à l'émergence des nouvelles voix romanesques qui incarneront la littérature de demain.

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