Flemme de glisser Sarko sous le sapin ? Retour cette semaine sur les temps forts de l’année littéraire en 25 livres et autant de façons de sauver la course aux cadeaux de Noël.
©Adrienne Salinger, Teenagers in their bedrooms
Plus de 200 000 exemplaires écoulés, des prix en pagaille, des réimpressions à la chaîne et une tournée médiatique qui n’en finit pas : plus qu’une belle histoire, c’est une déflagration. C’est surtout la révélation d’un grand talent. Pour rompre le silence familial qui règne autour de son arrière-grand-mère, lobotomisée dans les années 50 à cause de sa schizophrénie, la chercheuse utilise une méthode rigoureuse, elle croise les archives et les entretiens avec ses proches mais injecte à l’enquête un incroyable souffle romanesque. Une démarche littéraire passionnante et un combat intime transformé en sujet de société.
Alors qu’ils étaient nombreux à vouloir le mettre dans le formol après dix ans de silence romanesque, réclamant un Nobel pour le remercier d’une œuvre qui n’adviendrait plus, Haruki Murakami s’est offert en janvier dernier un come-back de rock star, avec un nouveau bijou rappelant Kafka sur le Rivage et 1Q84. Un amour adolescent évaporé, un étrange pacte faustien, une cité aux murs mouvant et menaçant, un homme coincé entre le monde des morts et des vivants : du pur Murakami saupoudré d’une ambiance studio Ghibli, un shot d’imaginaire où l’onirisme dispute à la mélancolie
Le temps d’un week-end, Clara est de retour au bercail. Mais la marseillaise, partie faire ses études à Paris au grand dam de ses parents, n’est pas venue seule. À son bras, un grand échalas aux manières de bourge, pire, un Parisien. La goutte de trop pour Véro, matriarche autoritaire, cagole excentrique qui dissimule derrière ses folles expressions une douleur intime et un regard acerbe sur le monde.
Alternant entre les points de vue de la mère et de la fille, on plonge dans un western domestique flirtant continuellement, sans jamais basculer, avec la caricature, tirant à vue sur tout ce qui obsède nos sociétés contemporaines : les transfuges de classes, l’héritage et la transmission, l’amour maternel, la violence des hommes… Intense, parfois cliché, drôle et enlevé, plus profond qu’il n’y paraît, il est là le nouveau roman marseillais.
1986, dans son jet privé, Julio Iglesias, marcel, toison apparente, paire d’Aviator vissée sur le nez, s’apprête à déguster un bucket de KFC avec une tortillas et un verre de Château Lafite-Rothschild. La photo légendaire qui orne la couverture du livre d’Ignacio Peyro dit tout de la figure excentrique, grotesque et géniale qu’il entend nous croquer. Avec un incroyable souffle littéraire, le journaliste retrace le destin chahuté de l’incarnation la plus flamboyante du « latin lover », celui qui reste à ce jour l'artiste hispanophone ayant vendu le plus d'albums à travers le monde (300 millions d'exemplaires).
Sa première carrière de footballeur comme gardien du Real Madrid, l’enlèvement de son père par un commando de l’ETA ; l’irrésistible ascension d’un crooner à l’énergie hors norme ; sa résidence luxueuse d’Indian Creek où il recevait le gratin de la jet-set ; les innombrables femmes de sa vie dont Isabel Preysler, « la perle de manille » qui le quittera avec perte et fracas pour le Prix Nobel de littérature Mario Vargas Llosa ; son rôle méconnu mais décisif dans les tractations politiques internationales de l’époque entre Reagan, Mitterrand et Jose Maria Aznar : le show Iglesias tient toute ses promesses.
Comme un signe de l’inquiétude qui rôde et de la colère qui monte, la dystopie a déserté les mondes futuristes pour s’ancrer violemment dans le présent. Les lendemains qui déchantent ont laissé la place à l’aujourd’hui qui déraille. En racontant avec un hyper-réalisme dévastateur, le glissement progressif et fatal de l’Irlande dans le totalitarisme à travers les yeux d’une mère de quatre enfants dont le mari syndicaliste disparaît soudainement, Paul Lynch alerte sur la fragilité des démocraties et l’impuissance de ceux qui la constituent. Toute ressemblance avec la réalité… Un brûlot politique implacable et éprouvant, couronné du Booker Prize l’année dernière.
La première fois qu’on a entendu parler de Miranda July, c’était en 2005. L’Américaine repartait de Cannes avec la Caméra d’Or pour son premier film Moi, toi et tous les autres, comédie romantique foutraque, désenchantée, manifeste d’une œuvre dédiée aux inadaptés. Avec un talent tout particulier pour croquer les personnages féminins en pleine crise existentielle. 20 ans, deux films et trois livres plus tard, À quatre pattes parachève son hymne aux beaux bizarres avec une jubilatoire confession : Miranda July pourrait bien être la chef de file de cette famille dysfonctionnelle.
La narratrice lui ressemble à s’y méprendre. Artiste de Los Angeles, queer mais mariée à un homme, mère d’un enfant non-binaire, elle reçoit un jour un paiement inattendu et décide de tout dépenser dans un road-trip solitaire direction New-York. Pour échapper aux entraves de son foyer mais surtout pour satisfaire un désir pressant, de vibrer avant la barre fatidique des 50 ans et cette foutue ménopause qu’on balance à toutes les sauces.
Mais son voyage tourne court. À une station essence de la ville voisine, elle croise le regard de Davey et trouve l’étincelle qu’elle cherchait. Plutôt que de traverser le pays, elle s’installe dans un motel miteux pour en faire le royaume de ses fantasmes, explorant les 1001 facettes du rapport charnel et définissant les conditions du retour à la vie de famille. Fable excentrique, conte érotique, est surtout un signe de ralliement féministe et une invitation à défier le temps en s’offrant une chambre à soi.
Si aujourd’hui la mode est à la collection littéraire qui met en situation ses auteurs, on le doit en partie à la formidable série initiée chez Stock, Ma nuit au musée, qui propose depuis sept ans maintenant à des écrivains de passer une nuit dans le musée de leur choix pour faire naître un texte intime et sans contrainte.
Après Le Louvre de Jakuta Alikavazovic dans Comme un ciel en nous ou encore le Musée Ann Frank de Lola Lafon dans Quand tu écouteras cette chanson, Richard Malka nous embarque au Panthéon. Le disciple de Georges Kiejman, l’avocat de Charlie Hebdo, l’homme de lettres qui défend le droit de rire de tout et surtout de Dieu, profite de sa pérégrination nocturne parmi les tombeaux des grands hommes pour s’entretenir avec Voltaire, pourfendeur en chef de l’obscurantisme religieux. À une époque gangrenée par le fanatisme et les dérives communautaires, il nous invite à penser la possibilité d’un autre système de croyance. Amen.
Une édition collector qui rassemble trois récits déjà parus de David Grann, reporter emblématique du New Yorker et auteur d’enquêtes littéraires virtuoses comme The Killer of the Flower Moon (2017), récemment adaptée au cinéma par Martin Scorsese. Deux reportages, plus courts, moins connus mais passionnants, Chroniques d’un meurtre annoncé et The Yankee comandante qui nous entraînent au Guatemala et à Cuba. Mais surtout, La Cité de Z, chef-d’œuvre de l’auteur, popularisé par son adaptation au cinéma signée James Gray.
Pendant l’entre-deux guerre, Percy Fawcett, militaire et archéologue britannique, a sacrifié sa vie pour retrouver, au cœur de l’Amazonie, la piste d’une supposée civilisation avancée. En contant dans l’enfer vert, au milieu des animaux sauvages et des tribus indigènes, cette expédition dantesque lors de laquelle l’explorateur disparaîtra sans laisser de traces, David Grann fait surtout le récit halluciné d’une quête obsessionnelle aux confins de la folie pour entrer en contact avec d’autres formes de vie.
Parce qu’elle fait vaciller notre rapport au réel, l’intelligence artificielle s’est mise à hanter nos romans, comme le poison lent d’une angoisse existentielle. Chaque époque fabrique ses monstres et voilà que surgit, à la place du yuppie, si bien croqué par Bret Easton Ellis, le codeur de génie disposant d’un pouvoir trop grand pour lui.
Virtuose de la tech au sommet de sa gloire, rongé par les traumas et une étrange maladie, Jérémie prend une décision radicale : offrir sa vie aux algorithmes, désormais seuls maîtres de ses décisions. Un geste fou, galvanisé par une retraite spirituelle, qui va déboucher sur la création de son grand œuvre : une IA capable de résoudre nos dilemmes moraux. Répondant en écho, 50 ans plus tard, à L’Homme-dé de Luke Rhinehart, qui faisait du hasard une nouvelle transcendance perverse, Clément Camar-Mercier raconte la quête bien réelle, entrepris par certains démiurges, pour faire de l’algorithme notre nouveau Dieu. Quel avenir radieux.
La bande dessinée documentaire vit son âge d’or et Les Guerre de Lucas en est le représentant le plus éblouissant. Le nouveau prodige du dessin, Renaud Roche et son acolyte, le journaliste Laurent Hopman, deux grands amoureux de science-fiction retracent le parcours du génie visionnaire George Lucas et raconte l’épopée dantesque que fut la création de sa saga cultissime Star Wars. Truffé de révélations, brillamment mis en scène, poignant et drôle.
Sorti il y a quelques semaines, le deuxième tome relate l’histoire de la production de L’Empire Contre-Attaque et se penche sur la création de la deuxième merveille de George Lucas, la saga Indiana Jones.
Publié quelques semaines après l’incroyable tournée estivale entreprise à travers le monde par les deux frères de Manchester, Trying to Find a Way Out of Nowhere rassemble les clichés emblématiques de Jill Furmanovsky, qui a suivi de près, sur scène en coulisse et sur la route, la carrière d’Oasis. Un album-photo à couper le souffle avec les commentaires exceptionnel de Noel Gallagher pour décrypter l’irrésistible ascension mais aussi les nombreuses zones de turbulence traversées par le groupe emblématique du rock anglais.
En découvrant le livre, d’abord de la méfiance. Combien d’auteurs ont abîmé leur héritage en se lançant, des années plus tard, dans l’écriture d’un nouvel opus venu compléter l’univers de leur trilogie culte ? Puis, comme un poison lent, une curiosité malsaine, l’appel irrésistible de la Zone X, cette contrée animée par une force mystérieuse, hostile qui englouti et consume quiconque ose l’approcher.
Né de l’esprit de l’américain Jeff VanderMeer, elle était loin d’avoir livrée tous ses secrets. Car le triptyque du Rempart Sud et surtout son premier tome, Annihilation, merveille de thriller psychologique porté à l’écran par Alex Garland, avait d’abord pour ambition de stimuler la peur jusqu’à la paranoïa, de se nourrir des doutes et des illusions du lecteur, quitte à provoquer chez lui de la frustration.
Absolution ne vous apportera que peu de réponses sur la nature du mal mais réussit le pari d’être à la fois un trésor pour les connaisseurs et une porte d’entrée électrisante pour les profanes. Trois parties, trois expéditions pour raconter, dans une région où pullulent les signes avant-coureurs de la catastrophe, comme ces hordes de lapins cannibales, les prémices de la confrontation avec la Zone X, entre établissement d’une frontière et mise en place d’une unité secrète chargé de contrôler la menace. Un retour aux sources pour poser une question, comme un point d’exclamation : qui, de la terrifiante entité présente à nos portes ou de la bureaucratie froide, tentaculaire, qui cherche à s’en emparer est la plus dangereuse pour l’humanité ?