Tel père...

Un père et son fils, deux écrivains amoureux de Paris et d'art, deux interviews en miroir. Cette semaine, rencontre avec Gilles Schlesser, le père. Collectionneur obsessionnel, déjanté, il a recensé, pendant 20 ans, les grandes adresses de la littérature à Paris et publie deux guides passionnants, à collectionner et à offrir.

INCIPIT
4 min ⋅ 28/11/2025

Jean-Paul Sartre, Boris Vian et Simone de Beauvoir au café le Procope à Saint-Germain-Des-Prés, 1951Jean-Paul Sartre, Boris Vian et Simone de Beauvoir au café le Procope à Saint-Germain-Des-Prés, 1951

Il y a deux ans, Gilles Schlesser publiait Le Grand carnet d’adresses de la littérature à Paris et nous invitait, arrondissement par arrondissement, à arpenter les rues illustres de “la ville aux cent milles romans”. De Rabelais à Modiano, de Gavroche à Charles Swann, il racontait avec érudition et humour, tout un pan de la littérature française et mondiale. Aujourd’hui, il fait paraître Les Flâneries littéraires de Paris, un deuxième guide, comme un prolongement, pensé cette fois comme une ode au mouvement et à la déambulation curieuse. Rencontre avec un drôle d’hurluberlu.

Quand et comment cette folle aventure a-t-elle commencé ?

Il y a quelques années, j’avais un blog littéraire qui s’appelait Paris à l’encre, avec lequel j’ai initié cette collection d’adresses. J’ai voulu donner une seconde vie à ce blog en faisant un livre. Je me suis lancé et emporté par mon élan, je suis allé à la rencontre de plus de mille écrivains, morts et vivants, ayant vécu à Paris, plus de 1200 adresses, des appartements, des maisons, des cafés, des hôtels…

Vous ne partiez donc pas de zéro dans vos recherches ?

Entre le contenu recensé sur mon blog, les promenades littéraires que j’ai fait des centaines de fois et les ouvrages que j’avais déjà écrit sur les écrivains de Paris comme Saint-Germain-Des-Prés, les lieux de légendes, j’avais déjà presque un tiers de la documentation à disposition. J’ai simplement continué et décuplé mon travail d’historien, d’archiviste, de détective, de flâneur de rives.

Comment avez-vous procédé pour mener cette première enquête titanesque ?

C’est à peu près deux ans et demi de travail, presque 5000 heures à arpenter les ruelles et les livres. J’ai une bibliothèque personnelle importante sur la ville de Paris, entre 200 et 300 livres, j’ai travaillé avec la BNF, la Bibliothèque historique de Paris, Pompidou, les archives de journaux, l’INA, Retronews et évidemment les ressources phénoménales de Google. Au début, j’ai fait beaucoup de recherches de terrain mais j’ai progressivement arrêté parce que c’est trop triste. Il y a tellement d’adresses qui n’existent plus, ça fait mal au cœur.

Comment ce deuxième opus vient-il compléter le précédent ?

Le Grand carnet d'adresses était une recension très précise de tous les lieux littéraires de la capitale, arrondissement par arrondissement, mais il me manquait l’idée de mouvement, cette invitation à arpenter Paris. Avec Les Flâneries, j’ai voulu faire le joueur de flûte et entraîner le lecteur avec moi dans une déambulation curieuse, mêlant petites histoires littéraires et souvenirs plus personnels.

Imaginez une virée sans aucun objectif à part le plaisir de revivre les lieux et les époques. C’est un art qui se perd la flânerie alors que c’est un marchepied vers la poésie. Aujourd’hui encore, je ne peux pas passer Quai de Conti sans penser à Modiano, je ne peux pas franchir la « très belle et inutile » Porte Saint-Denis sans déclamer André Breton, je ne peux pas traverser le Pont Mirabeau sans réciter Apollinaire.

« À Paris, si on ne fait pas attention, on se met vite à marcher dans un livre ».

Qu’est-ce qui vous passionne tant dans ce format du Guide culturel ?

Il faudrait demander ça à un psychologue. J’ai un rapport avec les lieux qui est très personnel. J’ai besoin de savoir où les choses se sont passées. Modiano est un peu comme ça. Il faut absolument que l’adresse soit exacte pour qu’on puisse ressentir quelque chose, savourer la petite histoire qui va avec. Il y a évidemment aussi un côté collectionneur qui est indéniable (rires). Paris est la ville idéale pour satisfaire cette petite manie, c’est la capitale littéraire du monde. Comme dit l’écrivain Katrina Kalda : « À Paris, si on ne fait pas attention, on se met vite à marcher dans un livre ».

Owen Wilson en virée avec Zelda et Francis Scott Fitzgerald dans Midnight in Paris de Woody AllenOwen Wilson en virée avec Zelda et Francis Scott Fitzgerald dans Midnight in Paris de Woody Allen

S’il me prend l’idée de faire une balade littéraire dans Paris, quel itinéraire me conseillez-vous ?

Je ne vais pas vous étonner mais je vais vous répondre le 6ème arrondissement. Entre la rue de Tournon, le Luxembourg et la Seine. Vous avez là plus de 200 adresses. La Rue de Tournon est clairement la plus riche en habitant littéraire. Vous avez Balzac, Henri De Latouche, Gide, Renan, Prévert, Charles Cros, Baudelaire, Les frères Daudet, Maurice Renard, Pierre Jean Jouve, Brasillach, Anatole, France, Romain Rolland, Radiguet, Heredia, Gabriel Marcel et encore j’en oublie ! C’est absolument hallucinant.

Parmi toutes les anecdotes que vous avez grappillées ? Quelles sont vos histoires préférées ?

Je pense à Antoine Blondin qui tente de faire baptiser un gigot dans l’Église de Saint-Germain-des-Prés, j’imagine la scène. Je pense aussi à cette scène de Kafka qui prend le métro, Montherlant et Aragon qui vécurent dans le même appartement à quelques années d’écart, Sartre qui joue du piano à quatre mains avec sa mère dans son appartement, Marguerite Duras la résistante qui habite au-dessus de Ramon Fernandez le collabo rue Saint-Benoît : à tous les coins de rues il se passe quelque chose. Vous pouvez même résider dans la chambre qu’occupa Rimbaud rue Victor Cousin à l’Hôtel de Cluny. Demandez la chambre 62, c’est là où il aurait écrit La Chanson de la plus haute tour.

Demandez la chambre 62 à l'hôtel Cluny-Sorbonne et vous dormirez dans la chambre occupée par Arthur RimbaudDemandez la chambre 62 à l'hôtel Cluny-Sorbonne et vous dormirez dans la chambre occupée par Arthur Rimbaud

Quelle est l’adresse qui vous a le plus marqué ?

Vous allez au 42 rue Bonaparte et vous êtes dans l’immeuble où habitait Sartre avec sa maman. Dans le même immeuble, vous avez la romancière Béatrix Beck qui a eu le Goncourt en 1952 pour Léon Morin, prêtre, vous avez aussi Gaston Criel et un dernier qui s’appelait Philippe Dumaine. Il habitait juste au-dessus de chez Sartre et les gens se trompaient, ils venaient toujours l’importuner. Il en a eu marre et a mis un petit écriteau sur sa porte : « Visiteur, redescends, c’est en dessous que gît cet être ou ce néant, le maître existentiel ». Allez à cette adresse, vous ferez provision de littérature.

 Il y a même un écrivain qui résidait dans une avenue portant son nom ?

Ils sont même deux ! Bien évidemment Victor Hugo. L’avenue d’Eylau dans laquelle il résidait a été renommé de son vivant l’Avenue Victor Hugo, il avait pour habitude de recevoir des lettres adressées : « À Victor Hugo, en son avenue ». Mais Lamartine lui aussi, a résidé à la fin de sa vie Rue Lamartine. Des exceptions puisque la règle stipule qu’il faut attendre cinq ans après la mort de l’écrivain pour lui attribuer une voie. Pour la petite anecdote, j’écris en ce moment des interviews imaginaires des écrivains ayant une voie à Paris pour leur demander s’ils sont contents de leur rue ou de leur avenue.

Bonne lecture !

Pour se procurer les livres :

Gilles Schlesser, Le Grand carnet d’adresse de la littérature à Paris, Séguier

Gilles Schlesser, Les Flâneries littéraires de Paris, Séguier

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Par Léonard Desbrières

Journaliste littéraire et critique depuis presque dix ans au sein de la rédaction du Parisien, de LiRE Magazine Littéraire, de Konbini ou encore GQ, passé par La Grande Librairie, je m'intéresse de près à l'émergence des nouvelles voix romanesques qui incarneront la littérature de demain.

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