Le Roman-vrai du procès de Nuremberg

Il y a 80 ans, jour pour jour, débutait le Procès de Nuremberg. Tout juste récompensé du Prix Renaudot, Le Crépuscule des Hommes nous plonge en immersion dans les coulisses de ce moment de bascule de l'humanité. Une reconstitution sidérante signée par le Prix Albert Londres, Alfred de Montesquiou.

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3 min ⋅ 20/11/2025

La course au verdict du procès de Nuremberg, 1960 © Agence Keystone / Gamma-RaphoLa course au verdict du procès de Nuremberg, 1960 © Agence Keystone / Gamma-Rapho

On est trop souvent tombé sur les couvertures fades, hermétiques, parfois même illisibles de nos chers éditeurs français pour ne pas souligner quand le travail a été bien fait. Ici l’image nous saisit d’emblée. Une photographie mythique, à la hauteur de l’événement historique qui s’apprête à nous être contée.

Un homme en chemise et cravate sprinte comme un dératé dans notre direction avec, à sa suite d’autres endimanchés, des civils et des militaires haut gradés. Cet homme, c’est le journaliste Wes Gallagher, celui qui, le 1er octobre 1946, fut le premier à rendre public le verdict du Procès de Nuremberg.

Déformation professionnelle

En tant que reporter de guerre, Alfred de Montesquiou a arpenté les pires zones de conflit de ces deux dernières décennies, d’abord pour l’agence américaine Associated Press puis pour des médias français comme le magazine Paris Match. Il a couvert l’Afghanistan, l’Irak, Gaza et le Liban, il a opéré clandestinement lors du génocide du Darfour, raconté les Printemps Arabes et l’Ukraine, remporté le Prix Albert Londres pour son traitement de la guerre civile Libyenne.

Alfred de Montesquiou ©Laetitia d'AbovilleAlfred de Montesquiou ©Laetitia d'Aboville

Un voyage au bout de la nuit, au plus près de l’horreur, qui l’a poussé en parallèle à mener une investigation au long cours auprès de la Cour pénale internationale, à La Haye, pour ausculter sous tous les angles la question de crime contre l’humanité. C’est sans doute là qu’est né Le Crépuscule des hommes, récit au plus près d’un procès historique, véritable acte naissance de cette notion clé de la justice internationale.

Roman-vrai, livre-enquête, appelez ça comme il vous plaira. Comme il l’avait fait pour la révolution syrienne dans L’Etoile des frontières, Alfred de Montesquiou avance avec la rigueur du journaliste et la fougue du romancier, transformant le réel en terreau fertile d’un récit haletant.

Ray d'Addario Ray d'Addario

Ainsi, pour nous faire revivre cet événement sans nul autre pareil, il refuse le récit panoramique propre à son métier. Il donne de la chair et du cœur à son récit en mettant au centre du jeu un homme, un photographe de l’armée américaine, ayant réellement existé, Ray d’Addario. Sans doute le plus prolifique fournisseurs de clichés du Procès de Nuremberg, qui en plein cœur du chaos, va rencontrer l’amour de sa vie, Margarete Borufka, une interprète tchécoslovaque. C’est en partie à travers son regard, ses clichés, ses images capturées qu’on refait l’Histoire.

Capturer un moment de bascule de l’humanité

Du procès de Nuremberg, on connaît bien sûr les images glaçantes du banc des accusés rassemblant certains des plus grands dignitaires nazis, Hermann Goring, Rudolf Hess ou encore Joachim von Ribbentrop. On connaît aussi le verdict qui entrera dans les annales mais on ne sait finalement pas grand-chose du déroulé des séances et de tout le cérémonial qui les entoure.

©Ray d'Addario©Ray d'Addario

Ce qui frappe dans le livre d’Alfred de Montesquiou, c’est d’abord la durée de la procédure. À partir du 20 novembre 1945, c’est une bataille juridique de plus de dix mois qui s’engage. Une bataille d’opinion de longue haleine face à des partisans de l’exécution sans sommation nombreux et puissants. Avec une précision clinique, le roman nous rejoue ce petit théâtre glorieux où l’on a opposé à la barbarie nazie, la justice la plus impartiale, balayant pour de bon l’idée de loi du Talion.

Mais avec ce procès, c’est aussi la question de la mémoire qui surgit et sa lutte incessante contre l’oubli. Si l’histoire est en train de s’écrire, comment la retranscrire ? Et c’est là toute l’originalité du livre qui ne se limite pas aux travées du tribunal mais nous emmène jusque dans les salons feutrés du Château de Faber-Castell, devenu le camp de base des journalistes qui couvrent l’évènement, parmi lesquels des plumes illustres comme Joseph Kessel, Jonathan Dos Passos ou Elsa Triolet. Une constellation d’observateurs privilégiés, aiguisés qui viennent superposer leur regard à la focale de Ray d’Addario. Et forment un chœur de témoins qui portent avant les historiens, le poids de la transmission.

Finalement, l’effet produit par le livre est troublant. On a parfois l’impression de retrouver le dispositif narratif et visuel mis en place par Jonathan Glazer dans La Zone d’Intérêt. Comme si des caméras étaient postées dans les moindres recoins du tribunal ou du Château de Faber-Castell, comme si nous étions les témoins d’une télé-réalité tragique où il faut apprendre à mettre des mots sur l’horreur pour mieux en saisir l’ampleur. Une plongée en immersion dans un moment de bascule, âpre, douloureux, épique mais étrangement réjouissant. C’est si rare finalement, de se confronter à la grandeur des Hommes.

Bonne lecture !

Le Pour se procurer le livre :

Alfred de Montesquiou, Le Crépuscule des Hommes, Robert Laffont

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Par Léonard Desbrières

Journaliste littéraire et critique depuis presque dix ans au sein de la rédaction du Parisien, de LiRE Magazine Littéraire, de Konbini ou encore GQ, passé par La Grande Librairie, je m'intéresse de près à l'émergence des nouvelles voix romanesques qui incarneront la littérature de demain.

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