Dans son nouveau livre, Adélaïde de Clermont-Tonnerre venge Milady de Winter, personnage inoubliable des Trois Mousquetaires et dénonce "le plus grand féminicide de la littérature française ». Rencontre avec une romancière en mission.
À une époque qui sacre les biographies romancées, des récits qui marchent dans les pas des grands de ce monde en comblant par la fiction les vides et les énigmes de leur existence, Adélaïde de Clermont-Tonnerre fait un pas de côté et s’élance dans Je voulais vivre, à l’assaut, non pas d’une figure ayant réellement existée mais d’un des personnages féminins les plus forts, les plus singuliers, les plus mystérieux de la littérature française : Milady de Winter.
En puisant dans Les Trois Mousquetaires, l’œuvre de Dumas où elle tient le premier rôle, elle retrace l’ascension redoutable d’une petite fille recueillie sur les marches d’une Église, devenue éminence grise du Cardinal de Richelieu. Elle parvient surtout à fendre l’armure maléfique qu’on lui a toujours attribué. Et si derrière la séductrice, l’intrigante, la meurtrière se cachait l’incarnation sublime et avant-gardiste d’une féminité qui, pour exister, n’a d’autre choix que de transgresser ?
Un été, j’étais adolescente, j’ai lu les trois livres de la série, Les Trois Mousquetaires, Vingt ans après, Le Vicomte de Bragelonne, coup sur coup. J’étais folle amoureuse d’Athos, noble, ténébreux, torturé, je trouvais que d’Artagnan avait une fougue extraordinaire, Aramis était d’une intelligence hors norme, j’avais envie d’être Constance, la gentille, la douce, la bien coiffée et évidemment je trouvais Milady épouvantable, terrifiante.
Le voile s’est déchiré au moment de lire cette même histoire à mes enfants et notamment en redécouvrant une phrase : « Milady, cette perverse qui a 15 ans à peine, a détourné un prêtre du droit chemin ». On ne peut pas entendre une phrase pareille à notre époque et se dire c’est normal. Qui détourne qui ? Je me rappelle avoir eu un mouvement de sidération. Je connais ce texte par cœur et tout m’est alors revenu en boomerang : « Est-ce normal d’être marquée au fer rouge par un bourreau, en dehors de toute justice, est-ce normal d’être pendue sans autre forme de procès sur décision de son mari ». Ce n’est pas parce que c’est un personnage de fiction qu’elle n’a pas le droit de réclamer justice.
Pour moi, Dumas, c’est le premier showrunner de l’histoire. C’est celui qui fait travailler les écrivains en équipe et qui va rajouter un supplément d’âme, son humanité, sa chair, son sens du dialogue sur ce qui a été construit. J’ai donc imaginé une situation où je deviens, comme Auguste Maquet, porte-plume de Dumas et je déploie à partir de l’esquisse qu’il fait de Milady, un personnage avec un passé, une histoire, une sensibilité. Elle veut se venger, c’est finalement un thème éminemment Dumasien. Voilà ce que je voulais raconter tout en faisant une déclaration d’amour à un romancier que je vénère plus que tout.
Les Trois Mousquetaires version Steampunk, l’adaptation nanardesque signée Paul W. S. Anderson
Comment avez-vous procédé pour retracer l’histoire de Milady ?
En étudiant l’œuvre de Dumas en détail. Ce qui est intéressant d’ailleurs, c’est qu’il change de position au fil des romans. La punition d’une criminelle dans Les Trois Mousquetaires devient progressivement quelque chose de beaucoup plus ambigu, il a des remords, il se demande s’il a eu raison de traiter Milady comme ça et quand on arrive à la pièce de théâtre intitulée La Jeunesse des Mousquetaires, l’ambiguïté est quasiment levée, il regrette vraiment ce qu’il lui a fait subir.
Je me suis engouffrée dans cette brèche et les doutes de Dumas, je les fais porter par un personnage pour qui est j’ai une immense tendresse, D’Artagnan. On le retrouve des décennies après la disparition de Milady, il raconte son histoire, la relation qu’il entretenait avec elle, ses erreurs. Lui-même se demande s’il n’a pas été du mauvais côté de l’Histoire.
C’est un roman qui peut se lire avec plusieurs niveaux de lecture ?
J’ai essayé de construire le livre de telle manière que des lecteurs qui ont passionnément aimé Les Trois Mousquetaires, comme moi, puissent retrouver les personnages qu’ils aiment, un sentiment de familiarité agréable. Et que ceux qui n’ont jamais parcouru l’univers de Dumas puissent également se lancer à la suite de cette femme, avoir envie de la comprendre, envie de l’aimer sans se préoccuper de ce qui a été écrit auparavant.
Eva Green, dernière actrice à avoir enfiler le costume de Milady dans le film de Martin Bourboulon
Qu’est-ce qui fait de Milady une héroïne moderne ?
Si Milady a traversé les siècles, c’est parce qu’elle parle des femmes d’aujourd’hui. C’est une femme libre, c’est une femme qui pourrait être une victime mais qui décide de se battre, c’est une femme qui veut créer sa vie, son destin en dehors des hommes. Elle tombe amoureuse à de nombreuses reprises, c’est une femme sensuelle, qui aime l’amour mais elle veut avoir son destin entre les mains. C’est une femme qui aime la connaissance, la lecture, la science. Dans un sens, c’est l’incarnation de la sorcière comme on la connaît aujourd’hui, symbole d’un féminisme tapageur, sacrifiée sur l’autel des hommes dans ce qui demeure pour moi le plus grand féminicide de la littérature française.
Deux autres romans de la rentrée offre un nouvel éclairage sur deux classiques de la littérature et prouvent qu’on peut faire un bon roman en réécrivant un chef-d’œuvre.
D’Effacement (2004), chronique sociale au vitriol d’un milieu littéraire et d’une société, bourrés de préjugés raciaux à Châtiment (2024), polar mâtiné de fantastique sur les traces de l’affaire Emmett Till, lynchage qui alimenta le feu du mouvement des droits civiques, cela fait plus de 20 ans que Percival Everett mobilise tous les genres romanesques pour questionner la condition afro-américaine. Avec son nouveau livre, James, consacré Outre-Atlantique par un incroyable doublé National Book Award - Prix Pulitzer, le voilà qui s’attaque à un monument de la littérature américaine : Les Aventures de Huckleberry Finn.
Il revisite l’histoire de Mark Twain en adoptant le point de vue de Jim, compagnon de route de Huck qui déconstruira ses préconçus racistes. Dans un pays rongé par la ségrégation, on suit les tribulations de cet esclave en fuite, érudit et amusant qui simule l’ignorance pour survivre et utilise le langage comme une arme pour conquérir sa liberté. Audacieux et brillant. Un remake aux accents furieusement contemporain qui brosse à la paille de fer, les braises encore chaudes d’un racisme latent.
Grand reporter à l’Express, Emilie Lanez s’attaque dans son troisième livre à un classique du répertoire français et débusque un énorme mensonge littéraire, égratignant au passage un des romanciers les plus acclamés du XXème siècle.
Avec Vipère au poing, publié en 1948, Hervé Bazin, mandarin des lettres françaises dans les années 80, connaît un immense succès. Le livre acquiert une réputation mondiale et s’écoule à plus de cinq millions d’exemplaires, devenant même un passage obligé pour des générations de collégiens, terrifiés par le personnage ignoble de la mère. Et c’est là que réside la supercherie, ce que l’autrice appelle le « meurtre littéraire ».
Quiconque a lu le roman se souvient parfaitement du personnage de Folcoche, sorte de double de papier de la mère de l’écrivain, une marâtre ignoble qui prodigua à son fils une éducation sans tendresse, brutale et perverse. Près de 80 ans plus tard, la journaliste venge sa mémoire en révélant une vérité jusque-là mise sous silence. Puisant dans les archives familiales mais aussi judiciaires et médicales, elle retrace l’enfance tourmentée de l’écrivain, entre délinquance, prison et même asile d’aliénés. Elle dévoile surtout le vrai visage Paule Hervé-Bazin, sorte de Madame Bovary en souffrance, qui a certes failli mais qui ne méritait pas autant de mépris. L’histoire glaçante d’un écrivain qui a sacrifié sa mère sur l’autel de la gloire littéraire.