Bios c'est bon

En pleine semaine de remise des grands prix venant consacrer les meilleurs romans de la rentrée littéraire, on vous propose de changer d’air. Place aux biographies et aux mémoires, une autre façon de croquer les vies et raconter les histoires.

INCIPIT
4 min ⋅ 05/11/2025

Ignacio Peyro, Un certain Julio Iglesias

« Il fut l’Espagnol le plus connu du XXe siècle après Dalí et Picasso »

1986, dans son jet privé, Julio Iglesias, marcel, toison apparente, paire d’Aviator vissée sur le nez, s’apprête à déguster un bucket de KFC avec une tortilla et un verre de Château Lafite-Rothschild. La photo légendaire qui orne la couverture du livre d’Ignacio Peyro dit tout de la figure excentrique, grotesque et géniale qu’il entend nous croquer. Avec un incroyable souffle littéraire, le journaliste retrace le destin chahuté de l’incarnation la plus flamboyante du « latin lover », celui qui reste à ce jour l'artiste hispanophone ayant vendu le plus d'albums à travers le monde (300 millions d'exemplaires).

Sa première carrière de footballeur comme gardien du Real Madrid où il arrêtera un jour le penalty de la légende du club, Alfredo di Stefano ; l’irrésistible ascension d’un crooner à l’énergie hors norme ; sa résidence luxueuse d’Indian Creek où il recevait le gratin de la jet-set ; les innombrables femmes de sa vie dont Isabel Preysler, « la perle de manille » qui le quittera avec perte et fracas pour le Prix Nobel de littérature Mario Vargas Llosa ; son rôle méconnu mais décisif dans les tractations politiques internationales de l’époque entre Reagan, Mitterrand et Jose Maria Aznar  : le show Iglesias tient toute ses promesses.

Avec au menu du glamour, des femmes, un public en transe qui contraste avec le mépris des élites, une gabegie financière, des déclarations douteuses mais surtout un décor privilégié, une société espagnole en pleine mutation, quittant les rivages du Franquisme pour embrasser la Movida.

Esther Williams, Une sirène à Hollywood

« Pour la presse, j’étais la parfaite fée du logis, la reine glamour d’Hollywood et un sex-symbol en maillot de bain – cela fait beaucoup pour une seule femme. Tout cela alors que je travaillais douze heures par jour à créer de petits rêves sur pellicule en barbotant dans la piscine géante de la MGM. »

Mise à part la publicités culte d’Evian dans les années 2000 où des dizaines de bébés se trémoussent dans une piscine avec des chorégraphies exécutées à la perfection, les « aquamusicals », ces films où la comédie musicale rencontre la natation synchronisée n’ont guère connu de succès autre part qu’aux Etats-Unis. Pas étonnant donc que vous ne connaissiez pas Esther Williams, la sirène d’Hollywood, star des années 40 et 50, dont les éditions Séguier publient aujourd’hui les mémoires. Avec franchise et des révélations stuépfiantes, celle qui disparut en 2013, à 91 ans, nous livre les souvenirs d’une vie chahutée, passée à dénoncer l’emprise des hommes sur la machine à rêve.

Grand espoir de la natation américaine, recordwoman du 100m en 1939, elle voit ses espoirs olympiques brisés par la Seconde Guerre Mondiale et s’offre une nouvelle vie à Hollywood où elle est engagée par MGM pour des numéros de ballets aquatiques et des comédies musicales. Du grand bassin à la plongée au milieu des requins, voilà la championne propulsée dans un monde crasseux et décadent où les paillettes ne sont que de la poudre aux yeux.

L’insistance des producteurs, les fantasmes des réalisateurs, la folie perverse des acteurs symbolisée par une scène glaçante où Johnny « Tarzan » Weissmuller lui court après le sexe à la main en faisant des cris de singe : rien n’aura été épargné à Esther Williams. Après une trentaine de film dont La Première Sirène (1952) et La Chérie de Jupiter (1955), elle fait ses adieux en cinéma dès 1961 pour monter… sa marque de maillot de bain.

Agnès Michaux, Huysmans Vivant

Cela fait 67 ans, depuis la parution en 1958 de La Vie de J.-K. Huysmans, signé par l’universitaire anglais Robert Baldick que l’on n’avait pas consacré un livre au grand écrivain du XIXème. Une preuve flagrante de la postérité injuste dont dispose l’une des figures les plus fascinantes de notre littérature. Agnès Michaux répare aujourd’hui cet affront avec brio et une grande biographie qui se dévore comme un roman.

Dans cette reconstitution historique, elle fait revivre avec érudition et minutie une époque, le XIX siècle finissant, et un lieu, le Paris littéraire et artistique bouillonnant. Avec un plaisir non dissimulé, elle offre une tribune à sa langue foutraque et furieuse. Avec le souffle d’une adepte qui veut restituer toute la force du génie, elle donne chair à un écrivain longtemps caricaturé qui semble bénéficier aujourd’hui d’un retour de flamme.

Joris-Karl Huysmans (1848-1907), l’auteur d’À rebours et Là-Bas, était certes un personnage déroutant, provocateur, décadent, sataniste même par moment mais il était surtout un écrivain d’avant-garde, bâtissant des ponts entre le naturalisme de Zola et le surréalisme qui allait advenir, rassemblant après sa mort des héritiers aussi diamétralement opposés que Paul Valery et Michel Houellebecq.

Roberto Carnero, Pasolini, Mourir par les idées

Le 2 novembre 1975, on retrouvait sur la plage d’Ostie, à quelques encablures de Rome, le corps de Pier Paolo Pasolini atrocement mutilé. Une mort violente qui fait immédiatement de l’intellectuel engagé et de l’artiste d’avant-garde un martyr tué pour ses idées. 50 ans plus tard, il est devenu une icône comparable à Rimbaud et Roberto Carnero s’attèle à l’ambitieuse tâche de capturer son génie dans un livre.

On parcourt une vie marquée toute entière du sceau de l’engagement politique : son enfance écrasée par les idéaux fascistes de son père, la mort de son frère dans la Résistance, son engagement furtif avec le communisme avant la rupture brutale, sa haine viscérale des idéaux bourgeois, sa fureur contre le monde entier. On redécouvre le réalisateur d’avant-garde qui bouscule notre rapport au réel et fracasse sans ménagement notre boussole morale dans des films devenus cultes comme Accattone (1961), la trilogie L’Évangile selon Saint-Mathieu, Œdipe Roi (1967), Médée (1970), Théorème (1968) et bien sûr le sulfureux Salò ou les 120 Journées de Sodome (1975). Surtout on mesure la force du romancier et la puissance évocatrice du poète, l’auteur de Pétrole, publié à titre posthume et qui se lit aujourd’hui comme un chef-d’œuvre visionnaire.

Marc Weitzmann, La Part sauvage

Tout juste récompensé du Prix Femina dans la catégorie essai, La Part sauvage n’est pas un exercice biographique comme les autres. Si sa photo trône en majesté sur la couverture, n’attendez pas un déroulé classique de la vie de Philip Roth (1933-2018). Journaliste, ancien rédacteur en chef de la rubrique littéraire aux Inrocks, Marc Weitzmann fait plutôt dans le portrait baroque, racontant le monstre sacré des lettres américaines à la lumière de l’amitié qu’ils ont partagée pendant près de 20 ans.

Méditation sur la littérature, sa puissance évocatrice, parfois divinatoire, ce texte dense, foisonnant invite à une relecture du chaos contemporain et du naufrage américain à travers les œuvres du romancier, de La Tâche (2002) au Complot contre l’Amérique (2006). Une plongée vertigineuse dans l’esprit d’un monstre sacré, au nihilisme désabusé. Un hommage puissant à une « boussole éthique et littéraire ».

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Par Léonard Desbrières

Journaliste littéraire et critique depuis presque dix ans au sein de la rédaction du Parisien, de LiRE Magazine Littéraire, de Konbini ou encore GQ, passé par La Grande Librairie, je m'intéresse de près à l'émergence des nouvelles voix romanesques qui incarneront la littérature de demain.

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