INCIPIT

La newsletter littéraire par Léonard Desbrières

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Par Léonard Desbrières
27 nov. · 1 mn à lire
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Sous le soleil de Cassan

Le Bronzage social, la mode des peaux hâlées et les UV-addicts sont le sujet du dernier essai philosophique et intime de Margaux Cassan. À lire à l'ombre.

©Martin Parr Life’s a beach

Sous leurs airs de penseur du désir et de la liberté, les philosophes ne seraient-ils pas des intellos coincés ? À force d’être obnubilés par l’exploration des mystères insondables de l’âme humaine, ils en auraient presque oublié que notre rapport au monde se joue aussi à travers le corps, celui qui nous relie aux autres, dont on dispose, qu’on expose et propose. Heureusement la relève est bien décidée à débrider tout ça.

Avec la publication cet automne d’Ultra Violet, un savoureuse philosophie du bronzage, Margaux Cassan, 27 ans seulement, poursuit sa chair de philosophie initiée l’année dernière avec Vivre nu, dans lequel elle questionnait, à travers le sujet du naturisme, notre rapport à la nudité. Bousculer la philosophie à papa dans les thématiques qu’elle aborde mais aussi dans les formes qu’elle s’autorise. Aux circonvolutions érudites, pour ne pas dire vaporeuses, elle préfère les essais hybrides mêlant enquête intime, réflexion sociale et références pop.

Il est mort le soleil ?

En philosophie aussi, tout part de la mère. Celle de Margaux Cassan est une addict au soleil. Pendant toute son enfance, elle incitait sa fille à se mettre de l’huile bronzante et même à faire des UV. À peine sortie de l’hôpital après un traitement contre un cancer de la peau qui l’a rattrapée, elle s’envole pour l’Afrique, chez elle, retrouver son transat. Cette image marque profondément la philosophe qui y voit le signe flagrant qu’il se joue dans le bronzage autre chose qu’un simple goût pour les caresses solaires.

En évoquant en pointillé cette mère, Icare des temps modernes, en usant de références mythologiques et religieuses, en réfléchissant au fait sociétal, elle démontre à quel point le bronzage est bien plus qu’un motif esthétique. C’est d’abord un moyen d’exprimer sa liberté, de disposer de son corps comme on l’entend, de clamer son droit à être différent.

Mais c’est surtout la quête d’un autre soi, plus beau, plus sain, plus riche aussi et donc plus désirable. Une dialectique du plaire et du prouver symbolisée par ceux qu’elles nomment les « Rastignac du soleil », un boys club d’un autre temps mené par Jacques Séguéla, Jack Lang ou encore Jean d’Ormesson, qui avec leur bronzage exagéré, frôlant l’orangé (on embrasse Donald Trump) envoyait un signal d’appartenance à l’élite intellectuelle et sociale.

Orange is the new black

Le livre raconte surtout à quel point aujourd’hui, la dynamique s’est inversée. Comment cet âge tanoraxique a laissé peu à peu la place au royaume de l’ombre. Le soleil n’a plus bonne presse et chacun de ses rayons convoque le réchauffement climatique ou un danger dont il faut se protéger.

En refusant cette quête de la peau tannée, c’est toute une époque qu’on balaye de la main, incarnée par Mai 68 et son appel à jouir sans entrave et surtout par les années 80 et leur incitation au Sea, Sex and Sun. Un temps d’insouciance et d’hédonisme où le simple fait de s’étendre au soleil était une activité. Qu’elles semblent loin les vacances d’été.

Pour se procurer le livre :

Margaux Cassan, Ultra Violet, Grasset, 216p, 20€

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