Toutes premières fois

Comme à chaque rentrée littéraire, honneur d'abord aux premiers romans, pour mettre en lumière les nouvelles plumes et les jeunes talents.

INCIPIT
4 min ⋅ 02/09/2025

©Nan Goldin, The Ballad of Sexual Dependency©Nan Goldin, The Ballad of Sexual Dependency

Mathilda di Matteo, La Bonne mère (L’Iconoclaste)

Le temps d’un week-end, Clara est de retour au bercail. Mais la marseillaise, partie faire ses études à Paris au grand dam de ses parents, n’est pas venue seule. À son bras, un grand échalas aux manières de bourge, pire, un Parisien. La goutte de trop pour Véro, matriarche autoritaire, cagole excentrique qui dissimule derrière ses folles expressions une douleur intime et un regard acerbe sur le monde.

Alternant entre les points de vue de la mère et de la fille, on plonge dans un western domestique flirtant continuellement, sans jamais basculer, avec la caricature, tirant à vue sur tout ce qui obsède nos sociétés contemporaines : les transfuges de classes, l’héritage et la transmission, l’amour maternel, la violence des hommes… Intense, parfois cliché, drôle et enlevé, plus profond qu’il n’y paraît, il est là le nouveau roman marseillais.

Robin Watine, Je rouille (Calmann-Levy)

Existe-t-il plus grande extase que celle des étés adolescents. Prendre la route en direction du soleil, tout laisser derrière soi, s’offrir une parenthèse, sans entrave, avant de retrouver le cours de nos vies. Pour Noé, rien de tout cela. Gamin du sud, fils de restaurateur de la côte, il est de ceux qui restent une fois les grandes vacances terminées. Et chaque année, c’est la même chose, il regarde partir Léna, la belle parisienne, larmes à l’œil, rage au cœur, rongé par un terrible sentiment d’infériorité.

Elle est charismatique, assurée, ambitieuse, lui se cherche, horizon fixe, regard dans le vide : c’est perdu d’avance alors pourquoi ne pas tout gâcher ? Réalisateur, Robin Watine écrit comme on filme, des images plein la tête. Il façonne un roman d’atmosphère hypnotique, écrasant pour capturer le chaos des amours naissants.

Séphora Pondi, Avale (Grasset)

Dans la catégorie outsider venue se jeter dans le grand bain de l’écriture romanesque, j’aurais pu choisir la DJ et musicienne Rebeka Warrior mais le livre m’a laissé sur ma faim, à rebours de l’enthousiasme ambiant. Mon regard s’est plutôt porté sur la pensionnaire de la Comédie Française, Séphora Pondi. Son premier livre, Avale, est le symbole de tout le bien que fait à la fiction française, le retour en grâce du Genre.

Elle raconte la collision entre une comédienne au « profil rare (…) noire, jeune et grasse » prête à exploser sur le devant de la scène mais freinée par une mystérieuse maladie de peau qui la défigure et un fan inquiétant, dérangés, qui la harcèle en ligne jusqu’à l’obsession. Dans la lignée de Julia Ducournau, elle-même infusée au cinéma de David Cronenberg, l’autrice se sert de l’étrange, du malaise et du gore pour conférer un supplément d’âme à un récit intime et social, questionnant l’identité, les représentations et la face sombre de la célébrité.

Pierre Boisson, Flamme, volcan, tempête (Sous-Sol)

Avec Flamme, volcan, tempête, Pierre Boisson, journaliste pour le magazine Society, à qui l’on doit notamment l’enquête à succès consacrée à Xavier Dupont de Ligonnès, parachève une année placée sous le signe des météores littéraires, ces romanciers fauchés au sommet de leur art ou qui ont payé toute leur vie ce bref instant de gloire. Après Tristan Egolf, ressuscité par Adrien Bosc, Nelly Arcan, vengée par Johanne Rigoulot ou encore Louis Wolfson, démasqué par Etienne Fabre, c’est aujourd’hui Christine Pawlowska qui obtient réparation sous la plume de l’auteur.

Autrice d’un seul livre, sidérant, Écarlate, écrit en 1974 alors qu’elle était adolescente et que les éditions du Sous-Sol ont la bonne idée de rééditer en poche, elle s’est ensuite évaporée jusqu’à ne laisser aucune trace. Dans un récit haletant, Pierre Boisson tente de recomposer la vie morcelée de cette virtuose, versant noir de Françoise Sagan.

Catherine Girard, In violentia veritas (Grasset)

Il y a 8 ans, Philippe Jaenada remportait le Prix Femina avec La Serpe, roman glaçant qui tentait de démêler l’un des faits divers les plus troubles du XXème siècle, l’affaire Henri Girard. En 1941, celui qui allait devenir sous le pseudonyme Georges Arnaud, l’auteur du Salaire de la peur (1949) est accusé d’avoir massacré à la serpe son père, sa tante et la bonne, dans le château familial d’Escoire. Après un procès retentissant, il est acquitté. Fort de son enquête, Philippe Jaenada avait lui aussi tranché en faveur de son innocence.

Aujourd’hui, c’est la propre « fille de l’assassin » qui prend la plume pour exposer une tout autre version avec un argument de poids : des aveux qui lui furent adressés lorsqu’elle avait 14 ans. Mais loin du True Crime haletant, Catherine Girard écrit avec la flamme de celle qui se réapproprie son histoire familiale. Elle façonne un roman noir sur le meurtre, sur les traumas et la violence qui traversent les générations d’où émane une drôle de lumière, l’amour inconditionnel d’une fille pour son père.

Ramsès Kefi, Quatre jours sans ma mère (Philippe Rey)

Éloge de la fuite. Ne supportant plus l’ignorance d’un mari taiseux et la passivité d’un fils paumé de 36 ans, qui vit toujours dans son appartement, dans sa chambre au papier peint Schtroumpfs, Amani claque la porte et quitte sans prévenir son foyer et sa cité HLM. Pendant que son père s’enfonce dans le désespoir puis la rage, Salmane décide lui, d’enquêter sur une mère dont il ne sait finalement pas grand-chose, qui comme tant d’autres femmes issues de l’immigration s’est effacée derrière sa famille, ne rechignant devant aucun sacrifice pour la combler.

En proie à une sévère autocritique, le « sous-fils », comme il s’appelle, revisite aussi sa propre vie, ses études brillantes balayées par un manque d’ambition, son quotidien de « cavernien » à refaire le monde dans le parking désaffecté de la cité, la peur des responsabilités.

Grâce à une plume enlevée, remplie de bons mots et de savoureuses formules, Ramsès Kefi, ancien journaliste de Libération passé par le Bondy Blog, redonne aux banlieues toute leur poésie. Il pointe du doigt leurs maux aussi, la discrimination qu’on intègre encore plus qu’on subit, la masculinité à marche forcé, le silence des familles, le poids de l’exil. Un premier roman comme un prolongement doux-amer de l’ouvrage collectif qu’il avait dirigé au printemps, Le Retour du roi Djibril, les contes de la cité.

Marie Semelin, Les Certitudes (JC Lattès)

Anna, 26 ans, n’a pas respecté la promesse faite à sa colocataire, Simone, 75 ans, quelques jours avant sa mort. De confession juive, elle souhaitait être enterrée en Israël. Crise mystique qu’il ne faut pas prendre au sérieux, trop compliqué au vu du contexte géopolitique : elle s’est trouvée toutes les excuses possibles mais aujourd’hui cette trahison la hante.

Elle décide alors de remonter le fil de l’existence de cette vielle dame qui dissimulait bien des secrets et dont l’histoire résume à elle-seule les tensions à l’œuvre dans la région. De 1955 à aujourd’hui, entre Jérusalem et Ramallah, Marie Semelin, journaliste au Moyen-Orient pour Radio France et le quotidien belge Le Soir, ébranle les certitudes et nous touche en plein cœur avec un portrait croisé de femmes, empli d’humanité. Un pari risqué transformé en l’un des meilleurs premiers romans de la rentrée.

Pour se procurer les livres :

Mathilda di Matteo, La Bonne mère

Robin Watine, Je Rouille

Séphora Pondi, Avale

Pierre Boisson, Flamme, Volcan, Tempête

Catherine Girard, In Violentia Veritas

Ramsès Kefi, Quatre jours sans ma mère

Marie Semelin, Les Certitudes

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Par Léonard Desbrières

Journaliste littéraire et critique depuis presque dix ans au sein de la rédaction du Parisien, de LiRE Magazine Littéraire, de Konbini ou encore GQ, passé par La Grande Librairie, je m'intéresse de près à l'émergence des nouvelles voix romanesques qui incarneront la littérature de demain.

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