Parce qu’ils font vaciller notre rapport au réel, le jeu vidéo, les métavers et l'intelligence artificielle se mettent à hanter nos romans, comme le poison lent d’une angoisse existentielle.
@Hugo Comte
Dans son premier livre, Le Roman de Jeanne et Nathan, Clément Camar-Mercier racontait, à travers la destinée de deux âmes égarées entre défonce et délire pornographique, le basculement d’une société de consommation à une société de l’addiction. Avec La Tentation artificielle, il compose un nouveau cocktail de poésie, de passion et de violence.
Chaque époque fabrique ses propres monstres et voilà que surgit, à la place du “yuppie”, si bien croqué par Bret Easton Ellis dans American Psycho, le codeur de génie disposant d’un pouvoir trop grand pour lui. Virtuose de la tech au sommet de sa gloire, rongé par les traumas et une étrange maladie, Jérémie prend une décision radicale : offrir sa vie aux algorithmes, désormais seuls maîtres de ses décisions. Un geste fou, galvanisé par une retraite spirituelle, qui va déboucher sur la création de son grand œuvre : une IA capable de résoudre nos dilemmes moraux.
Répondant en écho, 50 ans plus tard, à L’Homme-dé de Luke Rhinehart, qui faisait du hasard une nouvelle transcendance perverse, Clément Camar-Mercier raconte la quête bien réelle, entrepris par certains démiurges, pour faire de l’algorithme notre nouveau Dieu. Quel avenir radieux.
Rares sont les romanciers pouvant prétendre avoir inventé une manière de raconter les histoires qui n’appartienne qu’à eux. Dans la lignée des Enfants endormis, qui nous avait tant ébloui, où il entremêlait le drame mis sous silence de son oncle Désiré, mort du Sida à la fin des années 80 et l’histoire de la lutte contre l’épidémie, Anthony Passeron continue à creuser son sillon génial, alternant entre récit intime et enquête sociologique.
Cette fois, ce sont les cicatrices de sa propre enfance qu’il ausculte et notamment le départ soudain de son père. Celui-là même qui les initia avec son frère à la grande innovation du tournant des années 90 : le jeu vidéo. Et la souffrance d’une famille qui se disloque, les affres d’une jeunesse qui s’ennuie d’être sans cesse interrompus par les parties endiablées de Space Invaders ou de Zelda et par les portraits des pionniers du dixième art. Un « roman d’apprentissage en trois consoles » virevoltant.
Parthenia est un métavers participatif, inspiré de l’Antiquité, où chacun déverse ses fantasmes et ses angoisses pour bâtir une société idéale. C’est dans les tréfonds de ce jeu en ligne que vont se croiser Baptiste, un ado solitaire et torturé, qui venge sa rupture sur les forums masculinistes et Léa, lesbienne, fille d’immigrés mais nouveau visage d’un parti populiste décomplexé.
Les dangers du refuge technologique, la dissociation des personnalités, une guerre des sexes encore et toujours à l’œuvre, alimentée par des relents venus des tréfonds du web, la perfidie d’un monde politique qui a fait de la détresse son fonds de commerce : dans son deuxième roman, Pauline Gonthier se paie les nouveaux démons d’une société dont les digues morales cède une à une sous les coups de boutoir du virtuel.
Alors qu’on ne cesse de s’étonner de la jeunesse toujours plus prononcée des primo-romanciers, on éprouve une affection particulière pour les auteurs inattendus, qui ont eu besoin de plus de temps, parfois même d’autres vies avant d’embrasser l’écriture. Jean-Pierre Arbon lui, a attendu 73 ans avant de publier son premier roman. Ancien directeur général de Flammarion, reconverti dans la chanson, il n’a eu d’autre choix que de se jeter à l’eau pour raconter la folle histoire dont il est devenu, malgré lui, le héros.
À moins que tout cela ne soit faux. Car si le récit se présente d’emblée comme une expérience vécue, racontée à la première personne, il ne cesse de cultiver le doute sur la véracité des faits ou des personnages. Et le plus grand des mystères se nomme Harry Yuan, l’autre protagoniste de ce thriller étourdissant.
Pionnier de l’édition numérique, Jean-Pierre Arbon raconte avoir croisé sa route pour la première fois au début des années 2000. Magnat des médias tout puissant, apôtre de la tech en avance sur son temps, ils auraient brièvement travaillé ensemble avant sa disparition brutale. Volatilisé, vingt ans de folles rumeurs avant un mystérieux courrier signé HY, l’invitant à le retrouver dans sa retraite dorée. Et entendre l’incroyable épopée d’un homme a failli sombrer et qui, aujourd’hui, a juré de se venger. Le Comte de Monte-Cristo à l’ère des deepfake et des réseaux.