INCIPIT

La newsletter littéraire par Léonard Desbrières

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Par Léonard Desbrières
19 janv. · 2 mn à lire
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Phoebe Hadjimarkos Clarke, dure à queer

L' Avènement d'une nouvelle reine des littératures de genre

©Bénédicte Roscot©Bénédicte Roscot

Il y aurait beaucoup à dire sur la manière dont sont fabriqués les titres dans l’édition. Comme les couvertures, ils sont la porte d’entrée vers les livres et relèvent donc autant du marketing que de l’artistique. Ils sont même souvent choisis sans se soucier des avis du romancier. Ce qui ouvre la porte à une série de fiascos désespérants. Certains sonnent comme des slogans de gourous du bien-être, d’autres sont des effets de style qui n’ont absolument aucun lien avec ce qui se joue à l’intérieur du livre, d’autres encore jouent la carte du mystère, de l’ésotérique sans qu’on comprenne vraiment pourquoi. Heureusement, à de rares occasions, un titre et une couverture s’accordent parfaitement à l’univers qui s’offre à vous, mieux, ils subliment le travail de l’écrivain et excitent nos papilles.

Aliène, le titre du nouveau roman de Phoebe Hadjimarkos Clarke est un jeu de mot subtil et féroce qui sonne comme un manifeste. Il aura suffi de deux livres pour faire de l’écrivaine franco-américaine la figure de proue d’une littérature queer qui entend faire de l’étrange et du malaise le moteur d’œuvres poétiques et engagées. Des romans de genre pour aborder les questions de genre, de la science-fiction, du fantastique, de l’horreur pour bousculer les certitudes de nos sociétés, s’affranchir des normes qu’elles ont érigées et inverser les rapports de force. En 2021 déjà, elle avait fait parler d’elle avec la publication de Tabor, aux confidentielles éditions Le Sabot. Fable survivaliste et passion lesbienne au cœur d’un monde qui se noie, ce premier roman marquait les esprits par sa capacité à marier les motifs de la catastrophe, de l’effondrement et une réflexion débridée sur l’amour libre, pulvérisant les carcans au milieu du chaos.

Aujourd’hui elle revient avec un nouvel objet littéraire non-identifié, un mashup improbable, dérangeant et dérangé entre La Soupe aux choux, Vincent doit mourir et Le Village de Night Shyamalan. Militante blessée par un tir de LBD pendant les manifestations de Gilets Jaunes, Fauvel a trouvé refuge dans un village perdu de la campagne française. Dans une atmosphère aride, caniculaire, elle est chargée de garder la chienne du père d’une de ses amies pendant qu’il est en voyage. Ou plutôt son clone puisqu’elle découvre le chien originel empaillé dans le salon. La manipulation génétique semble avoir fait ressortir le pire de l’animal, elle grogne, revient au petit matin avec de la chair collée à ses crocs et du sang sur les flancs.

Alors que des corps d’animaux sont retrouvés aux alentours, Fauvel décide de mener l’enquête pour comprendre ce qui se trame là-bas dans la nuit. Loin du havre de paix qu’elle imaginait, elle est prise au piège d’une ruralité inquiétante. La bête la terrorise, les habitants de la région aussi, des extraterrestres rôdent, elle est persuadée qu’on la traque. Est-elle véritablement menacée ou sombre-t-elle dans une paranoïa alimentée par la drogue ?

Aliène est un bad trip viscéral qui secoue. C’est un livre qui fait peur mais c’est aussi et surtout un livre sur la peur. Comme une alchimiste, Phoebe Hadjimarkos Clarke manipule ce poison qui gangrène nos esprits, elle tente d’isoler les composantes qui lui confèrent sa puissance et lui permettent de s’immiscer au plus profond des rapports humains pour les vicier. À l’image d’une nouvelle vague de cinéastes français incarnée par Thomas Cailley, Just Philipot ou Stéphane Castang, le genre devient prétexte à une satire sociale au vitriol qui tire à balles réelles contre un monde où tout n’est plus que domination et violence.

Bonne lecture !

Aliène, Phoebe Hadjimarkos Clarke, Sous-Sol, 288p, 19€50

 Pour se procurer le livre, c’est ici

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