Al Pacino en 1974 (Getty Images)
Le Monument underground : Hollywood Babylone, Kenneth Anger (Tristram)
Source d’inspiration revendiquée de Damien Chazelle au moment d’écrire son film Babylon, le livre de Kenneth Anger est aujourd’hui considéré comme un objet culte mais fut pendant longtemps attaqué, censuré par les autorités et par une partie de la presse du fait du tableau sulfureux et scandaleux que son auteur peignait de la machine à rêve.
Né en 1927, petit-fils d’une costumière renommée, Kenneth Anger arpente les studios depuis qu’il est en âge de marcher. Pendant des années, il côtoie le gratin du premier âge d’or d’Hollywood et est le témoin privilégié d’une ère glorieuse et dépravée. Réalisateur complètement barré, fétichiste obsédé et sataniste avéré qui ira jusqu’à se tatouer Lucifer sur le torse, Kenneth Anger est le symbole de cette folle décadence.
D’abord publié en France par Jean-Jacques Pauvert, l’éditeur du Marquis de Sade, ce qui vous donne une petite idée des thématiques abordées dans le livre, Hollywood Babylone est une plongée vertigineuse dans les recoins les plus sombres et dans les secrets les plus abjects de la cité des anges, entre orgies, traînées de poudre et crimes étouffés.
Kenneth Anger a collectionné les photos, découpé les journaux, consigné les objets et les rumeurs pour pouvoir, un jour, tout déballer. Le goût prononcé de Charlie Chaplin pour les très jeunes femmes, le destin tragique de Marie Prevost, découverte dans son appartement à moitié dévorée par son teckel, la raclée infligée par Sean Connery au garde du corps d’Al Capone : jamais Hollywood n’avait été raconté avec une telle férocité et on savoure cette époque bénie où la presse people était confiée aux écrivains les plus destroys.
L’Autobiographie événement : Sonny Boy, Al Pacino (Seuil)
Ceux qui espéraient découvrir dans ces pages un retour en arrière grandiose, plein de nostalgie sur les grands moments de la carrière d’une légende d’Hollywood, seront sans doute un peu déçu. Pour cela, on ne peut que vous conseiller la lecture d’un autre ouvrage, Al Pacino : entretiens avec Lawrence Grobel (1979-2007) dans lequel l’acteur dévoile à un de ses amis intimes ses plus folles anecdotes de tournage.
Sonny Boy est un livre intime plus que cinéphile. Certes, ses films sont présents partout, comme un fil conducteur, du Parrain à Scarface en passant par Serpico, certes, on croise dans ces pages tout ce qu’Hollywood compte de légende, Francis Ford Coppola, Sydney Lumet mais aussi Robert de Niro, l’autre monstre sacré de l’époque, mais à 84 ans, Al Pacino décide de révéler l’envers du décor.
Au cœur du South Bronx, dans une famille éclatée, entre un père qui est parti et une mère souffrant de troubles mentaux, il raconte les sacrifices qu’il consenti pour se lancer dans la comédie et l’on en apprend plus sur une partie méconnue de sa jeunesse, sa première carrière artistique, quand, à trente ans à peine, il est un amoureux fou de Shakespeare, Tchekhov et l’une des figures du théâtre d’avant-garde New-Yorkais.
Pour ce qui est de sa vie après le succès, l’acteur ne s’épargne pas. Il se livre sans détour sur ses amours contrariés, avec Diane Keaton notamment, sur son addiction à l’alcool et sur ces incessants problèmes d’argents, qui à la fin de sa carrière, ont fini par impacter ses choix artistiques. Il pose même la question de la paternité, lui l’octogénaire qui vient à nouveau d’être père. Le résultat est troublant. Rares sont les livres qui plongent aussi loin, avec une telle honnêteté, dans la vie privée d’une idole tout en disant aussi peu de la carrière qui a contribué à le consacrer.
Les Punchlines d’une légende : Pauline Kael, Écrits sur cinéma (Sonatine)
“Spielberg fait partie de ces réalisateurs dont la touche magique peut rendre la médiocrité divertissante”
Rares sont les critiques de cinéma qui peuvent prétendre à une célébrité comparable aux acteurs et aux réalisateurs. Pourtant la journaliste emblématique du New Yorker, Pauline Kael a jouit en son temps d’une réputation qui dépasse l’entendement. Pendant les années 60 et 70, elle fut la terreur des studios et des cinéastes à cause de ses critiques d’une honnêteté foudroyante et d’une violence rare envers les films qu’elle ne jugeait pas à son goût.
Stanley Kubrick en a fait les frais et la détestait, Tarantino lui l’idolâtrait, qualifiait ses critiques d’ « école de cinéma » et souhaite aujourd’hui raconter son destin dans un film. En 2022, Rob Garver lui avait même consacré un documentaire passionnant dont le titre résume à lui seul la stature de cette légende du septième art, Qui a peur de Pauline Kael ?
Écrits sur le cinéma est une bible qui s’adresse plutôt aux cinéphiles avertis mais qui plaira aussi aux amoureux de bons mots. Au rythme des articles denses, passionnants, on revisite toute une partie de l’histoire du cinéma. Pauline Kael est aussi habile dans la promotion de Jean-Luc Godard, de Bertolucci et du Nouvel Hollywood incarné par Coppola et Scorsese que dans la descente en flèche de Clint Eastwood, Fellini ou Spielberg. Seule contre tous, elle sauvera Bonnie and Clyde d’un lynchage en règle.
Mais au-delà des guerres de chapelles, ce qui interpelle dans ce livre, c’est la liberté totale qu’elle revendique. C’est le courage dont elle intime ses confrères à faire preuve. Car toute sa carrière, femme dans un monde d’hommes, elle a mené une lutte acharnée contre un système patriarcal qui brise les actrices, contre les studios et leur logique mercantile, contre la connivence entre la presse et l’industrie. Aussi bien sur le fond que sur la forme, un manifeste pour les générations de critique à venir.
La Suite inespérée : Heat 2, Michael Mann (Harper Collins)
En plein âge d’or de la VF, porté par les voix françaises inoubliables de José Luccioni et Jacques Frantz, le lieutenant de police Vincent Hanna, interprété par Al Pacino, et le braqueur de Banque Neil McCauley alias Robert de Niro, sont attablés dans la nuit scintillante de Los Angeles et nous offrent l’un si ce n’est le plus grand face à face de l’histoire du cinéma. Les dialogues ciselés, le champ-contrechamp, l’interprétation magistrale, la première confrontation à l’écran de deux légendes d’Hollywood : ce moment de grâce est le climax d’un film qui enchaîne plan après plan les scènes iconiques et qui inscrit son nom, minute après minute, un peu plus haut au panthéon du septième art.
Avec l’aide de Meg Gardinier, une des fines lames du polar, Michael Mann offre à son chef-d’oeuvre une suite aussi éblouissante qu’inattendue puisqu’elle prend la forme d’un roman. Preuve que cette histoire n’a jamais cessé de le hanter, il fait commencer son livre quelques minutes seulement après le générique de fin de son film et on suit Hanna dans sa traque survoltée de Chris Shiherlis, le dernier survivant du gang de McCauley, incarné à l’époque par Val Kilmer.
Mais si dans ses premières pages, le livre prend la forme d’une suite classique, il alterne rapidement avec le prequel. D’un côté le présent, cet ultime duel entre un flic obsédé et le dernier survivant de la bande, de l’autre le passé des deux personnages emblématiques de cette histoire, Neil McCauley (Robert de Niro), à l’attaque d’un cartel mexicain, et Vincent Hanna (Al Pacino), aux prises avec un gang de psychopathes. Heat 2 n’est pas qu’un polar de haut vol, c’est le manifeste passionnant du cinéma de Michael Mann.
Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seul, le tournage de Heat 2 doit bientôt débuter. Avec un duo Austin Butler/Adam Driver qui donne déjà l’eau à la bouche.
Les Mémoires d’un fou : Chacun pour soi et Dieu contre tous, Werner Herzog (Séguier)
"Je suis un écrivain qui accessoirement fait des films" aime à déclarer Werner Herzog. Il est vrai qu’en parallèle de son glorieux destin de cinéma, le réalisateur allemand a toujours cultivé un goût pour la littérature. Il faut lire Sur le Chemin des glaces, récit habité de son voyage entrepris à pied de Munich à Paris pour aller au chevet d’une amie mourante. Mais à 82 ans, il se prête à un tout autre exercice d’écriture, celui des mémoires. Dans Chacun pour soi et Dieu contre tous, il revient en détail et avec style sur les épisodes marquants d’une carrière dantesque placée sous le signe de la démesure.
Mis à part son enfance, peuplée par les images d’une Allemagne d’Après-Guerre en proie à la désolation, dans laquelle il voit la véritable matrice de son projet cinématographique, Werner Herzog délaisse la vie privée pour se concentrer sur les moments les plus fous d’une existence entièrement dédiée au cinéma.
Il revient sur les épisodes chaotiques que furent le tournage d’Aguirre et surtout de Fitzcarraldo, où l’équipe du film a dû, comme dans la scène culte du film, faire passer un bateau de 320 tonnes au-dessus d’une colline. Il se souvient aussi de sa relation explosive avec celui qui fut de tous ses chefs-d’œuvre, une autre incarnation de l’excès, l’acteur Klaus Kinski. Des considérations financières les plus futiles aux sources de son inspiration, Werner Herzog nous ouvre les portes de la création et prouve qu’il est l’une des plus grandes tête brûlée de l’histoire du septième art.
“S’il fallait descendre en enfer et arracher un film des griffes du diable, je le ferais”
Bonne lecture !
Pour se procurer les livres :
Hollywood Babylone, Kenneth Anger
Sonny Boy, Al Pacino
Ecrits sur le cinéma, Pauline Kael
Heat 2, Michael Mann
Chacun pour soi et Dieu contre tous, Werner Herzog
...