Obsessions Malsaines

Affreux, sale et méchant. La définition d’un bon roman

INCIPIT
3 min ⋅ 09/04/2025

Paul Monterey, La Condition artificielle

Arnaud Rivelle de la Chausse, 25 ans, fils unique d’une noblesse fin de race, est un virtuose de la tech, employé dans une start-up qu’il méprise, avec ses tournois de ping-pong et ses soirées « brainsto ». Associable, frustré, animé par un profond dégoût pour la société, il ne trouve son bonheur que dans une seule chose : une intelligence artificielle qu’il a mise au point appelée Le Général. En un clic, il est capable d’envoyer son armée numérique à l’assaut de n’importe qui dans le monde pour traquer ses secrets, influencer ses choix et manipuler ses faits et gestes. Son rêve ? Forger une arme suffisamment puissante pour éveiller les consciences quant à l’urgence climatique.

Un militant radical certes mais un homme avec de bonnes intentions ? Oh que non ! Car notre génie est avant tout un animal pervers, obsédé à l’idée de tremper sa « vilaine petit bite » comme il l’appelle, dans toutes les femmes qui croisent son chemin.

Et un soir, il va rencontrer la proie d’une vie, Cho, une jeune coréenne aux formes avantageuses. À partir de cet instant, il n’agit que dans un seul but : assouvir sa pulsion. Il libère sa créature pour infiltrer ses réseaux sociaux, ses comptes bancaires, il parvient à s’immiscer dans son téléphone pour lire en direct tous ses messages, la géolocaliser, l’observer par le biais de sa caméra.

Et si son invention machiavélique lui offre ses secrets sur un plateau, elle lui permet également de fabriquer l’Arnaud idéal. Programme de remise en forme, relooking, fausse vie de millionnaire : elle est prise au piège. Mais très vite, certaines données que même le plus puissant des ordinateurs ne pouvait pas programmer vont venir gâcher son effroyable conte de fées.

Comme un écho au psychopathe roi des yuppies, Patrick Bateman, imaginé par Bret Easton Ellis dans American Psycho (1991), Paul Monterey nous dévoile son monstre froid dopé à l’intelligence artificielle, signe d’un monde non plus aux mains des financiers mais des branleurs compulsifs et démoniaques de la tech. Pas étonnant non plus de voir Le Sens du combat trôner en exergue de son premier roman. Il apparaît comme la réincarnation du Houellebecq des débuts, pas encore pris au piège de ses personnages, enfermé dans sa folie haineuse mais peintre virtuose et cruel des affres de nos sociétés.

Depuis quand n’avait-on pas ressenti le besoin de se laver les mains en refermant un livre ? Qui peux bien être le détraqué qui a imaginé cette histoire ? Son éditeur se contente d’une phrase énigmatique : « Paul Monterey est né en 1979, ancien avocat, il vit entre Paris et Rome ». Et bon courage à ceux qui souhaiteraient en savoir plus. Comme si l’auteur craignait d’être pris pour cible par sa propre invention, il n’existe aucune trace de lui sur internet.

Sheena Patel, Je suis fan

James Joyce, Virginia Woolf, James Baldwin : il suffit d’égrener les dernières traductions de Marie Darrieussecq pour savoir que la romancière ne se prête pas à l’exercice avec n’importe qui. Alors forcément, voir son nom associé au premier roman d’une jeune écrivaine britannique éveillait en nous une curiosité.

Quelques pages à peine et on comprend ce qui l’a guidé. On pourrait tracer une ligne directe entre son œuvre et le récit de Sheena Patel. À la manière de Truismes, Clèves ou plus récemment Fabriquer une femme, Je suis fan pose brutalement la question des rapports de domination entre les sexes, il raconte ce désir qui vous ronge, cette envie d’appartenir sans pour autant se renier et pointe du doigt les illusions tragiques avec lesquelles on aime se bercer.

Une jeune femme de 30 ans voit sa vie régie par deux obsessions. La première pour l’homme avec qui elle rêve de partager sa vie, un artiste en vogue qu’elle adule ; la seconde pour celle qui entretient une relation avec lui, sorte d’influenceuse WASP aussi futile que fortunée. À travers les écrans, dans les entrailles des réseaux sociaux, elle scrolle et scrute, espérant une ouverture.

Avec des phrases cinglantes comme des coups de fusil, Sheena Patel fait le récit dérangeant d’une fuite en avant, bien loin du réel. Avec Je suis Fan, elle crame au lance-flammes les défauts de l’époque, consumérisme, individualisme, inconstance des êtres et rend un hommage cynique à toutes ces histoires d’amour qu’on s’est raconté sans jamais les vivre.

Bonne lecture !

Pour se procurer les livres :

Paul Monterey, La Condition Artificielle (Cherche-Midi)

Sheena Patel, Je suis une femme (Gallimard)

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Par Léonard Desbrières

Journaliste littéraire et critique depuis presque dix ans au sein de la rédaction du Parisien, de LiRE Magazine Littéraire, de Konbini ou encore GQ, passé par La Grande Librairie, je m'intéresse de près à l'émergence des nouvelles voix romanesques qui incarneront la littérature de demain.

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