Sucre de Cannes

Alors qu'on entre dans la dernière ligne droite du Festival de Cannes, lumière sur deux romans passionnants et deux écrivains à part dont la trajectoire artistique est intimement liée à la grand-messe du septième art.

INCIPIT
3 min ⋅ 21/05/2025

Miranda July, À quatre pattes

La première fois qu’on a entendu parler de Miranda July, c’était en 2005. L’Américaine repartait de Cannes avec la Caméra d’Or pour son premier film Moi, toi et tous les autres, comédie romantique foutraque, désenchantée, manifeste d’une œuvre dédiée aux inadaptés, incapables de respecter les codes érigés par la société. Avec un talent tout particulier pour croquer les personnages féminins en pleine crise existentielle.

20 ans, deux films et trois livres plus tard, À quatre pattes parachève son hymne aux beaux bizarres avec une jubilatoire confession autofictionnelle : Miranda July est en fait la chef de file de cette famille dysfonctionnelle. La narratrice lui ressemble à s’y méprendre. Artiste de Los Angeles, queer mais mariée à un homme, mère d’un enfant non-binaire, elle reçoit un jour un paiement inattendu et décide de tout dépenser dans un road-trip solitaire direction New-York. Pour échapper aux entraves de son foyer mais surtout pour satisfaire un désir pressant, de vibrer avant la barre fatidique des 50 ans et cette foutue ménopause qu’on balance à toutes les sauces.

Mais son voyage tourne court. À une station essence de la ville voisine de Monrovia, elle croise le regard de Davey et trouve l’étincelle qu’elle cherchait. Plutôt que de traverser le pays, elle s’installe dans un motel miteux pour en faire le royaume de ses fantasmes, explorant les 1001 facettes du rapport charnel et définissant les conditions du retour à la vie de famille. Fable excentrique, conte érotique, À quatre pattes est surtout un signe de ralliement féministe et une invitation à défier le temps en s’offrant une chambre à soi.

Santiago H. Amigorena, Le Festival de Cannes

Il n’y a qu’à lire le dernier roman de Karine Tuil, La Guerre par d’autres moyens, pour se rendre compte à quel point le Festival de Cannes, avec ses paillettes qui font briller les apparences, avec son drôle de ballet d’émotion, de beauté et d’ambition, a tout du parfait terreau romanesque. Fidèle habitué de cette grand-messe du septième art, l’écrivain, scénariste et réalisateur franco-argentin Santiago H. Amigorena, poursuit l’entreprise autofictionnelle qui traverse son œuvre de part en part en se replongeant dans 40 ans de présence au Festival.

Le sous-titre de son livre, Le Temps perdu, a le mérite d’être clair. On embarque pour un voyage dans le temps aux accents délicieusement Proustiens. Sauf que pour Santiago Amigorena, les souvenirs n’ont pas l’odeur de la madeleine mais bien celle de la laine usée du smoking de location. Celui-là même qu’il portait lors de ses débuts à Cannes, en 1985, aux côtés de quatre garçons pleins d’avenir dont un certain Cédric Klapisch, avec qui il a écrit le scénario du Péril Jeune, le film culte de toute une génération. Une première comme un royaume de la débrouille où tout est mis en œuvre pour paraître et en être. L’aube surtout, des Illusions Perdues de la Croisette.

Car d’hôtels miteux en palaces, au fil des projections, des diners de stars et des soirées fastes, il pénètre dans un labyrinthe cruel avec comme fil d’Ariane les femmes de sa vie, un bal des actrices où se côtoient Philippine Leroy-Beaulieu, Julie Gayet, la mère de ses deux enfants ou encore Juliette Binoche. Avant la rencontre et le grand amour avec la scénariste Marion Quantin. Une mosaïque d’instantanés, deux semaines par an comme un miroir grossissant des vicissitudes de l’existence. Et derrière les aspirations d’un amoureux du cinéma et les rêves de gloire humains, trop humains, la fuite en avant d’un écrivain qui fait tout sauf écrire.

Bonne lecture !

Pour se procurer les livres :

Miranda July, À quatre pattes, Traduction de Nathalie Bru, Flammarion, 416p, 22€90

Le Festival de Cannes, Santiago H. Amigorena, P.O.L, 352p, 21€

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Par Léonard Desbrières

Journaliste littéraire et critique depuis presque dix ans au sein de la rédaction du Parisien, de LiRE Magazine Littéraire, de Konbini ou encore GQ, passé par La Grande Librairie, je m'intéresse de près à l'émergence des nouvelles voix romanesques qui incarneront la littérature de demain.

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