Les Livres qui ont marqué l’année littéraire

Parce qu'on n'est pas superstitieux, retour sur les temps forts de l’année littéraire en 13 livres qui ont marqué les esprits.

INCIPIT
7 min ⋅ 02/01/2025

Tina Barney, Family Commisson With Snake

Un roman français : Au printemps des monstres, Philippe Jaenada

En 1953, Jacqueline Harispe dite Kaki, 20 ans, tombe de la fenêtre d’un hôtel miteux de Montparnasse. Il y a évidemment un mystère à élucider dans le nouveau livre de Philippe Jaenada. Après tout, on a affaire au Pape du True Crime à la française. Voilà en tout cas comment depuis La Petite femelle (2015) et surtout La Serpe, Prix Femina 2017, on aime à décrire la partition jouée par le romancier dans l’orchestre littéraire hexagonal.

Mais son œuvre est bien plus qu’un catalogue de faits divers sanglants. Elle propose une radioscopie minutieuse, obsessionnelle, d’une époque qui sous couvert de croissance galopante dissimule son lot de secrets et de victimes silencieuses : les malnommées Trente Glorieuses. La Désinvolture est une bien belle chose est une immersion hypnotique dans le Saint-Germain-des-Prés d’Après-Guerre, refuge d’une jeunesse perdue dont Kaki est l’incarnation tragique, une génération sacrifiée qui doit réapprendre à vivre et à aimer.

Un roman étranger : Saison toxique pour les fœtus de Vera Bogdanova

Un titre, Saison Toxique pour les fœtus, et une première phrase, « Personne, chez les Smirnov, n’aurait imaginé qu’un tel malheur puisse arriver » pour vous plonger immédiatement dans l’ambiance de ce livre dérangeant qui raconte l’amour interdit d’Ilia et Jénia, deux cousins devenus le symbole d’une jeunesse russe déboussolée au lendemain de l’éclatement de l’URSS. Trahis par Dacha, sœur jalouse d’Ilia qui fantasme elle-aussi sur la belle Jénia, les deux amants voient leur terrible secret révélé.

Dans un monde où la féminité est une malédiction, c’est Jénia seule, qui s’assoit sur le banc des accusés. Poursuivie par la honte, elle décide de fuir à l’autre bout du pays pour changer de vie. Sans pathos, avec une noirceur qui secoue, Vera Bogdnanova fustige la violence systémique d’une société rongée par l’alcool, hantée par un virilisme guerrier, qui décharge depuis trop longtemps sa haine de soi et des autres sur les femmes.

Un essai : Barbès Blues d’Hajer Ben Boubaker

Hajer Ben Boubaker dynamite la forme convenue de l’essai et le ton souvent plombant des livres de recherche consacrés à l’immigration pour nous offrir un des meilleurs livres de la rentrée, un objet inclassable qu’on dévore comme un roman choral. Le pari de cette enfant de Belleville, de Barbès et de la Goutte d’Or, Retracer l’histoire des quartiers marqués par l’immigration, qui furent des bastions d’avant-garde des luttes, tout en tirant un fil original, celui des musiques arabes, dont elle a fait son sujet de recherche privilégié.

Du mythique disquaire Sauviat où l’on pouvait entendre Slimane Azem, premier artiste algérien à recevoir un disque d’or à la success story Tati chantée par 113 en passant par le cabaret Tam-Tam, on déambule aux côtés de cette historienne d’un nouveau genre, dans les rues d’un Paris qui s’est construit au rythme des communautés qu’elle a accueillies.

Un premier roman : Mythologie du .12 de Célestin de Meeus

Ces dernières années, ils sont nombreux à avoir fait de l’ennui, du désœuvrement et de l’errance, le moteur de leur récit. Mais personne ne l’a fait avec autant de talent que le belge Célestin de Meeûs. Mythologie du .12, comme le calibre utilisé dans un fusil de chasse, est un alliage de poésie et de rage que seul un grand alchimiste du verbe pouvait forger.

Une chaude soirée de juin, un jeu de miroir entre deux complaintes. Celle de Théo d’abord, un ado égaré qui zone avec son pote Max dans une vieille Clio en refaisant le monde à coup de bières et de joints. Celle du docteur Rombouts ensuite, qui resasse en s’imbibant de Whisky les erreurs impardonnables qui ont fait fuir sa famille. Puis vient la collision, inéluctable, dramatique, au rythme d’une narration effrénée. À la croisée du théâtre de l’absurde Beckettien et de la noirceur désespérée de Dostoïevski, un brûlot décapant contre la violence, nouveau repère cardinal d’une société déboussolée.

Une bande dessinée : La Route de Cormac McCarthy par Manu Larcenet

La rencontre entre deux géants ne pouvait déboucher que sur un incroyable morceau de bravoure. Près de dix ans après l’adaptation en BD d’un autre grand roman,Le Rapport de Brodeck, de Philippe Claudel, Manu Larcenet, l’un des plus brillants coups de crayon du neuvième art français se frotte au classique indétrônable du genre postapocalyptique : La Route de Cormac McCarthy. Un père et son fils déambulent dans les immensités sauvages, désertiques, dévastées, à la recherche d’un refuge, d’un espoir ou alors d’une mort rapide, comme une échappatoire.

Porté par le coup de crayon lourd et sombre de Manu Larcenet, croquant à merveille un monde réduit en poussière et en cendres, on embarque pour un voyage dystopique terrifiant dominé par les hordes de pillards et les fanatiques religieux adeptes du cannibalisme. La Route confronte le regard d’un adulte brisé qui a vu la civilisation s’effondrer et celui d’un enfant né dans le chaos mais qui continue, malgré tout, à espérer. Et cette question qui plane sans cesse sur un album de haute volée l’humanité mérite-t-elle vraiment d’être sauvée ?

Une découverte française : Aliène de Phoebe Hadjimarkos Clarke

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Par Léonard Desbrières

Journaliste littéraire et critique depuis presque dix ans au sein de la rédaction du Parisien, de LiRE Magazine Littéraire, de Konbini ou encore GQ, passé par La Grande Librairie, je m'intéresse de près à l'émergence des nouvelles voix romanesques qui incarneront la littérature de demain.

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